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JOURNAL DE MARIE LENÉRU

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Je ne suis pas encore arrivée à comprendre ce qui s’est passé. Etre sourde me produit encore l’effet d’une nouveauté, Et toujours des moments de cette étonnante gaîté « qui doit durer indéfiniment parce qu’elle n’est fondée sur rien ».

Dimanche 7 mai.

Les livres seraient-ils mauvais ? D’abord ils sont des exci- tants, mais non des excitants à en faire. Ils vous dégoûtent de penser, de redire six mille ans la même chose, aux variantes près de la langue.

Fini Madame Geoffrin. Triste vie en somme comparée à Mme Swetchine. Doit-on tout perdre, avec la Foi, même les belles amitiés ? Le xvine siècle n’était décidément pas un siècle affectueux, et l’on pardonne à la réaction de « sensibilité » qui le termina. Moi, j’avais toujours une inavouable partialité pour les attachements des mécréants, et je crois encore qu’ils doivent s’aimer plus désespérément que les autres.

Relu la Prière sur l’’Acropole, glissé de Renan en Vigny : La mort du loup ; Moïse ; Le mont des Oliviers. Encore relu l’ar- ticle de Gregh sur Rodenbach.

Je suis lasse d’entendre pleurer sur la vie ; elle devrait fran- chement avoir cessé de nous étonner. J’éprouve la même impa- tience que me donnent les dévots : « Le monde, le monde… » Et il faut qu’elle nous ait donné une certaine idée de la félicité, cette vie, pour que nous ayons tant de peine à ne pas être heureux, pour que la chose nous soit si fort désagréable !

Je vois la vie sans raison, sans espoir, sans merci, et je l’aime parce qu’elle est en somme tout ce que nous avons, Et puis, elle dure si peu ! \

Les suicidés sont des gens bien pressés d’arriver,

Quant à l’impassibilité et l’amour du néant, stoïcisme, bouddhisme ; philosophie de la peur ! La mort ne vaut pas