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ANNÉE 1899

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Je viens de recevoir les Elegie Romane de d’Annunzio. Depuis vingt-quatre heures, je lis et relis. C’est adorablement berceur avec un voluptueux goût amer,

Nulla è più grande e sacro ; Ha in sè la luce d’un astro.

(8).

J’ai de suite vu que la question pour moi devenait histo- rique et que, si je devais être rassurée, ce serait par des faits. Mais c’est là que j’ai rencontré les plus grandes difficultés. Faut-il donc s’en tenir au mot de Pascal : « Nous ne pouvons pas convaincre les infidèles, et ils ne peuvent nous convaincre, mais par là même nous les convainquons, puisque nous disons qu’il n’y a point de conviction dans toute la conduite de J.-C. de part ni d’autre ? »

Brutul, 29 juillet.

Je ne me décidais pas à rentrer du jardin. Ce mois que je passe régulièrement ici à la même époque depuis tant d’années, donne à l’arrivée et au départ, quelque chose de liturgique. Ce n’est pas que j’aime les anniversaires | Compter, mesurer : s’écouter mourir ! Mais j’aime Brutul, il y a du vieux moi dans l’air accroché aux arbres, je le respire en passant. Je connais tous les sapins, les châtaïigniers, les frênes et les tilleuls de Brutul. Je les ai vus sous tous les ciels, je sais tous leurs chan- gements de physionomie. Ce sont des relations dont on a suivi les bons et les mauvais jours.

Maintenant que j’en sais le prix, je regarde, je regarde comme si c’était toujours pour la dernière fois de ma vie. Cela me paraît grossier de lire en plein air, comme de lire à l’église, pour des contemplatifs.

Lire par-dessus le marché dans un monde où il faut dormir ! Cette nécessité du sommeil fait que tant d’heures de la vie des choses nous sont inconnues ! Quand je n’ai pas assez regardé

JOURNAL DE MARIE LENÉRU 22