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planche de musée et n’être pas le premier m’ôte le moindre désir d’être le second. Mauvaises habitudes de la perfection ascétique, besoin de créer son immortalité aussi élevée que possible.

J’ai beau penser comme Rabelais, « autant vaut l’homme comme il s’estime », la nette brutalité de Baudelaire m’a plu : « Un homme est l’égal d’un autre qui le prouve. » Et j’ai médité Amiel : « On croit se connaître, mais tant qu’on ne sait pas sa valeur comparative et son taux social, on ne se connaît pas assez : tant qu’on méprise l’opinion, on manque d’une mesure pour soi-même, on ne sait pas sa puissance relative. »

II Mai,

J’aime peu Chérie de Goncourt. Tous ces hommes voient un tas de nervosités, d’indécences dans la femme. Je n’y reconnais pas une de mes amies. D’autre part je me mets à déconsidérer les Goncourt que j’ai tant adorés, Ce sont des femmes et quel amour du chiffon ! On est étonné de ce qui leur a suffi par tout le cours de leur existence.

Voyages, philosophie, musique, ces trois premières cultures de l’homme leur sont étrangères. Peut-être que trop vivre par l’œil, dans un parti pris d’objectivité, vous relie trop au pre- mier venu.

Mes affinités actuelles vont à d’Annunzio : — « Vous le Savez, mon amie, je ne sais bien parler que de moi-même », et, à Barrès : — « Le plus objectif des hommes, il ne se désintéres- sait de soi-même qu’en faveur de rares personnages avec qui il se croyait d’obscurs rapports. »

15 Mai.

Il vente en tempête. Les arbres ont l’air de se confier des histoires drôles et de ne pouvoir garder leur sérieux.