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222 JOURNAL DE MARIE LENÉRU

Rien n’arrive, rien ne passe. Je n’ai pas la sensation de changer de journée. Je me retrouve toujours les deux pieds sur la même minute. D’ailleurs, je ne m’aime pas. Je ne sais com- ment je suis plus tourmentée de moi que d’une autre,

Maman me disait qu’elle s’était fourvoyée dans un article d’André Theuriet : « J’avais beau passer, passer, plus je pas- sais plus c’était bêtel »

Aline disait que les hommes se mariaient moins et je ré- ponds gravement : les femmes aussi.

Il est joli, pas brillant et odieux, l’air canaille, dit maman et j’ajoute : oui, et canaille pas sympathique.

Sur le trottoir avec Marc, Costume blanc, revers noir, mon uniforme d’Aiglon, rien dans les mains, pas d’ombrelle, Un homme arrosait, Marc sur mon passage a relevé de sa canne la pomme de l’arrosoir, L’homme allait protester, il lève le nez et nous regarde passer. Les plus subtils hommages mondains. vous plaisent moins que cela.

Il est délicieux de passer en public avec un être, homme-ou femme, de votre race et de votre allure. C’est surtout dans la marche qu’on jouit de ces affinités. Instinct de gratitude en- vers les corps qui se meuvent à votre manière, qui furent lan- cés dans la vie sous le rythme d’une même loi,

Bien en dehors de l’amour, le réseau sensuel des sympa- thies physiques nous emmaille, nous isole ou nous relie.

; 18 septembre.

Je revois les étoiles, Je ne demande plus si elles sont rondes ou si elles ont des cornes. L’autre soir, pour la première fois