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230 JOURNAL DE MARIE LENERU

pays, qui ne serait pas expressément voulue. L’énergie, le re- cueillement, la tension de la solitude, les transporter dans ses rapports avec de vrais semblables. Pas d’amour, peut-être, mais des amitiés rares, difficiles, exaltées, nérveuses ; vivre comme on revivrait en esprit de détachement, d’inquiétude et de revanche.

Dimanche 3 février.

Une prise d’habit à l’Oratoire. On se serait cru chez des ico- noclastes : plus nu qu’un temple, de la chaux et, aux rosaces, du verre dépoli. Pourtant, pas la pauvreté, la simplicité d’une grande maison. Les orphelines ont quêté dans du vermeil et les ornements sacerdotaux de toute splendeur.

Cérémonie à la Huysmans, une liturgie, une race, une héral- dique abbatiales, L’Oratoire, à peine restauré pour les femmes, en est à l’heure d’élite des vocations de fondatrices, une aristo- cratie de secte. L’officiant, Jacques de Pitray, le petit-fils de la comtesse de Ségur, flanqué de deux franciscains, hauts, droits, élancés, moines hommes du monde, qui ne baissent jamais les yeux et ne vous sourient jamais, a dit une messe lente de mou- vement archaïque savamment reconstitué d’après Solesmes. -Ah ! tout ce qu’on fait noblement, gravement, supérieurement.

Les femmes, noires et blanches, dans leurs stalles, derrière la grille claire qui sépare, mais ne voile pas, n’avaient rien de moins fier, de moins sacerdotal, Elles étaient raides, sous « ce grand maintien religieux » qui leur est prescrit. « Ne pas se pencher ni à droîte ni à gauche, c’est notre mortification », disait la Mère de Sales-Chappuis.

La supérieure est à la grille, à genoux, elle attend la commu- nion. La face est là, toute proche, minée de recueillement, le voile tombe paisible, continué du manteau, les poings sont gantés du surplis, militaire au port d’armes en présence d’un chef. Les dévotes devraient bien étudier cette simplicité mo- nastique. :