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274 JULVRNAL DE MARIE LENERU —

sans lien avec la vie, sans communications à cause du retran- chement des fonctions.

J’ai pris Travail en gare de Rennes ; c’est Germinal et je le relis volontiers. En somme Zola, c’est toujours le même livre, la même description, la même sensation. On ne pense pas moins que cet homme n’a fait. Ce grand actif a même très peu vécu. En outre, il ignore l’érudition, il n’y a pas eu chez lui d’échanges entre pairs. Et il raisonne comme un goujat. Quand on a lu autre chose on est crispé d’une si grosse voix pour des couacs de logique. Il vous désintéresserait des ques- tions sociales en en faisant une dispute de table d’hôte et de café de village. J’étais plus anarchiste en lisant L’Ennemi des Lois.

Et toujours ces problèmes de mangeaïlle, Encore les faisans et les truffes du dîner de Geriminal. |

J’ai besoin d’oublier que ces choses-là s’envient, — Puis, mon Dieu, parlez de justice (et encore je crois plus de justesse au mot pitié) et chambardez au maximum, mais ne mêlez pas là dedans la félicité, ne vous imaginez pas traiter la question bonheur ! C’est un sentiment de haute convenance qui me fe- rait accueillir le socialisme, l’abomination de rencontrer un vagabond qui mange un morceau de pain quand on va dîner en ville. C’est absolument navrant, mais cela ne choque pas mon sens moral comme injuste.

Rue Faraday, 9 novembre.

Exprès je ne me lance dans aucun lent travail. J’évite de m’ancrer pour une heure, mais je refais de tout, je sens la vie reprendre autour de moi, c’est un frémissement comme au- tour d’un bateau qu’on renfloue. 3

Je suis sérieuse et je m’applique. Je vais les dents, presque les poings serrés, Je ne me fatigue pas, une détente, au con- traire, me semblerait morbide. J’ai si monstrueusement à faire ! Je ne cesse de calculer avec la mort.