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ANNÉE 1903

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peu à la médiocre attention des interlocuteurs, et l’habitude prise de s’exprimer parfaitement dégoûte des à peu près et donne la paresse d’ébaucher en causant, ce qui sera mieux réussi plus tard.

C’est une faute. Il faut avoir son âme avec soi et pas sur une table à écrire, derrière la grande nappe verte que Louis XIV jetait sur son travail secret.

Je répète qu’on juge de l’intelligence avec les yeux, que l’intelligence se voit bien plus qu’elle ne s’entend. On ne dit pas toujours des choses transcendantes, mais être en état de les dire, cela se voit toujours. s

Le baiser est un secret sans paroles.

A Marie. — Vous êtes avec tous les honnêtes gens, mais j’en arrive à me demander si je suis « honnêtes gens » ? Une morale, n’est-ce pas ? qu’elle soit naturelle ou non, est la prohibition de certains actes. La mienne serait tout au plus la prohibition de certains êtres. Pourvu qu’on ne soit pas ceux-là, faire tout ce qui vous plaît me paraît la seule chose qui ne soit pas une plaisanterie pour des gens passant très vite dans un monde qu’ils savent sans raison, sans but et sans merci. — Et ne croyez pas que ce soient d’autres mots pour être aussi morale que vous. Je serais assez disposée à remplacer la morale par la politique, celle-ci, d’ailleurs, doit être l’origine de celle-là. Il est clair que cela n’implique pas un grand culte de la véracité, vertu qu’on ne prend guère sur soi de désavouer.

La grande faiblesse des amoraux et leur réfutation est dans leur prosélytisme. Dès qu’on se mêle d’apostolat, dans un sens ou dans l’autre, il faut prendre alors un point de vue social très différent de l’individuel. Je n’éprouve nullement le besoin que la majorité pense comme moi. Toutefois, comme j’estime peu le type révolutionnaire et ceux qui se font un mérite de leur indépendance, — comme si cela n’allait pas