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590 JOURNAL DE MARIE LENÉRU

promenade du Cours, est une si maigre terrasse devant la rade magnifique et fermée du goulet, que sur ces kilomètres d’Océan et sur ces côtes qui sont de la Campagne, on respire moins qu’en traversant la place de la Concorde. La ville de- vrait s’appeler Angustiae.

La marine pauvre et triste l’a faite ainsi. O marine, ô ma mèrel Des jeunes BEnS passent dans les rues par larges fronts de casquettes blanches, ils sont lents et chez eux, ils ont le reCueillement du geste et l’ardeur du regard dont on couve et décèle un bonheur, et ce bonheur est le départ.

À dix-huit ans, ils savent Comment on part, mais pour très loin, pour très longtemps. Mon père à leur âge s’est promené Comme eux dans cette même rue de Siam, mon grand-père et son père aussi.

Le Trez-Hir, 20 Septembre.

J’apprends à me taire.

L’esprit de ces cahiers me fatigue, cela m’ennuie de faire de la tristesse, J’en suis physiquement saturée. Quand je me réveille la nuit at le matin, je ne vois plus un bout par où prendre la vie ; l’instinct, le premier mouvement est pour la détresse, Un peu plus entrée dans la veille, les réactions com- mencées, cela change, je sais ne pas être plus tragique que cela n’en vaut la peine.

Ce qui me consterne, ce qui m’atterre, ce n’est pas l’avenir qui ne pourrait jamais être que meilleur, fût-ce la pleine vieil- lesse, mais ces quinze ans que j’ai derrière moi… Un matin, pendant ma fièvre typhoïde, j’ai été surprise, génée, parce que je ne pouvais pas me rappeler si, toute la nuit, j’avais dormi ou veillé. |