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9249 JUURNAL DE MARIE LENÉRU

m’est pas arrivé. Les normaux, qui sont la pluralité, donnent leurs définitions et nous les en croyons avec superstition.

Pourquoi me démoraliser par idée préconçue et succomber par préjugé à la « tendresse du regret » ? Au fond, qu’y at-il dans cette vie normale, en toute lucidité ?

Il y à certainement le mariage heureux. Mais dans Je plus : beau mariage, et surtout s’il s’agit de la femme, préserve-t-on cette énergie vitale de la solitude vers laquelle se portent si étrangement nos préférences ?

Enfant, l’on ne tient aucun compte, on méprise même tout à fait les saintetés qui ne furent pas vierges. Plus tard, on s’attache moins sans doute à l’intégrité absolue, mais nous en avons le goût, la secrète préférence des vies libres. Toutes pro- portions gardées, considérez ce qui se passe en vous quand vous dites : Wagner ou Louis de Bavière, George Sand ou l’Impéra- trice Élisabeth d’Autriche. Ernest Renan ou Gustave Flau- bert ? Et le dirai-je, la présence de Lucile n’explique-t-elle pas toute la distance de Camille Desmoulins à Saint-Just ?

Ce qui nous porte les uns vers les autres, ce que nous res- sentons pour les vivants ou pour les morts, pour ceux qu’on rencontre et pour ceux qu’on admire, c’est à tel degré qu’on voudra toujours de l’amour, de l’amour qui se heurte au seuil des intimités. Donnez un amour à Marie Bashkirtseff et dites si vous ne la détruisez pas. Faites de Charlotte Corday la mat- tresse de Barbaroux et vous ridiculisez son acte.

À Mme X… Puisque vous nommez Nietzsche, j’ai bien envie de-vous répondre à sa manière : « Oui, j’ai écrit « dangereuse- ment », mais dé tout ce qui est beau en ce monde, qu’est-ce qui n’est pas redoutable ? Le Christianisme n’a-t-il pas été prêché « dangéreusement » ? Y a-t-il vraiment dans la mort telle que l’impliquent les grands enthousiasmes, de quoi désho- norer le fanatisme ? On ne fera jamais pis que braver sa mort et celle des autres, est-ce donc si grave ? et vaudrait-il mieux vivre sans martyre et sans foi ?.…