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ANNÉE 1906

16 février.

la réalité des grands hommes ! D’avance j’étais certainede

n’être pas déçue. Mon principe est qu’on a toujours l’air de ce qu’on est. Un seul petit choc, en voyant entrer ce grand garçon mince à qui l’on donnerait 25 ans : Il n’est pas beau, mais comme la comtesse Potocka le disait de N apoléon, on ne lui voudrait pas un autre visage : c’est celui qui convient à ce qu’il a fait. Mince et fin, jaune, malade peut-être, le visage le plus soigné, le plus réussi pour l’insolence et pour le dégoût. Au demeurant, premier prince de l’intelligence, et fait pour écraser tout ce qui n’est pas elle.

Alors, quand on a de l’imagination, se dire : ma chère, tu ne réverras jamais un homme ayant pour toi ce prestige-là. Tu te moquerais bien d’un empereur ou d’un pape, mais celui-là, tu ne peux pas. En admettant qu’il ne soit pas le maître, il est le rival, un être semblable à toi et, jusqu’à présent, plus réussi que toi. O jeune gloire de Barrès quand j’étais une jeune fille dans tous les liens de la mort ! — Cette chétive petite tête d’adolescent imberbe, c’est la plus forte machine À penser et à sentir. On ne vivra pas mieux que lui, tout ce qu’on aura sera moins beau, Ses réactions sur tous les points de la vie cons- ciente, sont les plus rares, les plus parfaites et les plus savantes. Il est riche de lui-même à l’infini, Je l’envie jusqu’en ses dépits. Quel autre à sa place aurait jauni d’un échec politique ? — Dans ce long bureau fait du seul luxe des choses immatérielles,

J : vu Barrès. Qu’ils sont misérables ceux qui ont peur de