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324 JOURNAL DE MARIE LENERU

de chance de rencontrer des dons et des activités bien con- duites..

Il est certain que ce qui les différencie n’est pas tellement leurs facultés que leur propos bien délibéré d’en tirer parti. Ceux qui réussissent — quels que soient les préjugés sur les artistes — sont des caractères qui ont su discipliner leur effort, Cela se voit dès leurs mouvements et cette précision, ce but que l’on sent à leurs gestes est, je crois, ce qui entretient en cux cette extraordinaire jeunesse. Ce sont des êtres qui n’ont jamais fini de vivre.

(Après une visite à Mme Duclaux.)

20 juillet.

Henriette m’écrit des choses épouvantables, le cancer à la figure de cet ouvrier jeune qui n’a plus qu’un œil, une mû- choire, une joue, dont on voit le cerveau, dont elle sent le cer- veau en faisant le pansement. Elles ont rassuré le malheureux Sur le sort de sa femme et des enfants. « Ï1 nous dit des choses admirables : je n’ai pas peur de la mort, je ne vais pas chez un étranger. »

Hélas ! qu’y a-t-il d’admirable à être consolé ?

Ouchy, 20 septembre.

A Mme D… : Ce que je perds de plus en plus, c’est la notion du temps. Un an, cela vaut aujourd’hui un mois quand j’avais dix ans. Je ne dirais pas que cela passe très vite ; une année, au contraire, me semble avoir le faible contenu, mais, en re- vanche, la présence d’une même journée. Voilà pourquoi je suis très fidèle sans le paraître.

Pourquoi ne quittez-vous jamais la Bretagne ? C’est si agréable de se mouvoir dans le monde, d’y avoir ses coins ct ses habitudes comme à l’intérieur d’une seule ville.