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qu’on aime et qui venge de la mort, tout se passe en apprêts, en intervalles, en vides. Les arbres de l’avenue du Bois, re- trouvés à la sortie du métropolitain, les nobles arbres sous le ciel du soir, me sont un autre remords. Ne regarder ni le jour ni la nuit, cela non plus n’est pas vivre. Et puis encore, bien que je ne sois guère tolstoïenne, le mal au cœur de tant ache- ter, quand on pense à ceux qui n’achètent pas. Je voudrais être assez riche pour dépenser énormément pour ma toilette et donner exactement la même somme aux pauvres.

Blum m’a envoyé son livre « dont la meilleure partie m’ap- partient ». Premier article paru la veille, troisième article

aru le surlendemain… Tout le monde a remarqué la char- mante figure de Blum aux Affranchis, il cherchait à me faire comprendre ce qu’il ne pouvait me dire, il me regardait de toute son expression fervente, radieuse et dévouée,

Gregh s’était improvisé mon chaperon, il m’a suivie de loge en loge, frappant pour moi à la porte de mes interprètes. A. m’a dit : « Je n’arrivais pas à arracher mes mains des mains de Gregh. » Antoine a beau mépriser mes « amis littéraires » et vouloir me faire croire qu’il est le seul sur qui je puisse compter, j’ai la superstition de Blum et de Gregh.

10 novembre.

Nos abstentions sont une grande part de nous-mêmes, Tout ce que nous ne sommes pas, tout ce que nous ne faisons et ne disons pas, doit compter peut-être bien plus en ce monde où nous avons si peu de temps d’être, de dire et de faire, et ce qui me sépare de Nietzsche que j’aimerais tant, est tout ce qu’il n’a pas su ne pas dire. Une seule fois, ne pas s’être abstenu là où il le fallait, une seule faute de goût, de tact et d’éducation anéantit en toute légitimité les impressions données en sens inverse. L’élégance d’une femme se mesure quand elle ne fait pas de toilette, son éducation quand elle parle à ses enfants et