Page:Journal (Lenéru, 1945).pdf/349

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
343
ANNÉE 1912

"ANNÉE 1912 343

liser la notion de l’impossible. Gregh m’a dit une fois:« Tout vous viendra. » À la condition que je fasse la moitié du chemin, oui, que ce soit moi qui aille à tout, à la condition que ce soit moi qui triomphe de la barrière physique, oui. Si charmante, si émouvante que je puisse être, quel que soit le prestige de « la gloire », nul ne fera l effraction des circonstances — je ne parle

as des avances grossières et banales des inconnus. — Je l’ai très bien senti, on est curieux de moi, mais la paresse et la timidité sont deux obstacles insurmontables. Aussi je me demande si cela vaudrait que je me donne plus de peine que les autres, si l’effort déchirant que j’ai à fournir ne me sépare- rait pas à jamais de ceux qui m’auront laissée le donner seule… À quoi bon préparer à un homme la femme que je peux être, aurais-je cette incroyable humilité de l’appeler à la vic- toire, alors qu’on me laisse aujourd’hui me débattre dans l’im- possible et les tours de force ? Je suis lasse à fermer les yeux, à ne vouloir que dormir et mourir.

Quand nous avons parlé musique le soir, je ne m’’endors plus. À propos d’un air de la Surprise que je jouais enfant, et que je ne sais quel orchestre vient de donner, maman recher- chait, sans la trouver, la Sonate au clair de lune; alors avec l’accompagnement, je l’ai jouée sur la table, elle l’a reconnue, dès la première mesure. Elle rappelait les programmes de la Chapelle de la Marine. M. Chic, qui m’a envoyé les airs de ce pauvre Redoutable, jouait la Symphonie de la Reine à l’Introït et, pendant la messe, le Lac, de Niedermeyer, avec cette excel- lente « musique de la marine », arrivait au tour de force de pa- raître religieux. Comment n’ai-je pas oublié le matelot qui re- cevait nos cartes à l’entrée ? Et le grand rideau rouge devant la fenêtre de la tribune. Il y avait des pancartes dans l’escalier par lequel on y montait : « Silence dans la maison du Très-

— Haut. » Puis je me revois, surveillée toujours par des marins aidant les Suisses dans le cortège, attendant devant le portail, sur le tapis entre les chaînes et les bornes en hémicycle, le jour du mariage d’Albert d’Auriac. Il y a longtemps que la Cha-