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350 JOURNAL DE MARIE LENÉRU

Si menue qu’elle soit, elle a cette lourdeur des jeunes femmes qui, sans esprit, jouent les héroïnes de Gyp. Elle ne porte pas de corset et ce n’est pas très joli dans la pétulance. Son petit corps fin et qui devrait être souple, a une ligne trop droite de l’aisselle au bas de la jupe, c’est un peu Cook, sur- tout parce qu’elle écarte les jambes. La tête trop grosse sous un minuscule chapeau circonflexe avec bride au cou. Des yeux superbes, mais plus Canailles qu’intelligents. C’est sa beauté avec ses longs bras fins et qui seraient souples, si elle ne les ridiculisait, si elle ne les guignolisait pas par le geste. Un teint mat et uni un peu décoloré, elle ne se porte pas bien, ce qui rend plus psychique et plus belle sa vitalité bruyante,

Dans cette animation-là, il y a bien aussi pas mal des plaisirs de la vanité. Elle ne parle que d’elle, visiblement elle ne pense qu’à elle. Il faut entrer dans son jeu, et lui par- ler un peu amoureusement comme le ferait un homme, alors elle est gentille. Ma tante disait : quelle poseuse ! Mais pas du tout, comme dit maman, si elle posait, elle poserait mieux, C’est le naturel dans toute sa candeur.

J’ai peur de l’avoir dépeinte cruellement, mais on lui en veut vraiment de n’être pas plus pareille à elle-même. Il y a de la maladresse en Mme de Noailles. Cette femme, que je plaçais la première sur le carnet des Don Juan de quelque envergure, ne doit avoir l’amour ni spirituel, ni adroit. O ma sœur merveilleuse, est-ce qu’il n’y a pas un certain « ouf ! » dans la sympathie que vous m’inspirez ?

À Mie Dutoit après son article de la Gazette de Lausanne : « Maintenant après vous avoir dit ma reconnaissance, ose- rais-je me révolter absolument contre vos derniers mots ? Nous ne pourrions pas écrire une ligne, Madame, sans le con- trôle intérieur de l’oreille. Un écrivain comme vous ne peut pas l’ignorer, et pour entendre nos phrases, avons-nous besoin comme disait Flaubert, de les « faire passer par notre gueu- loir ? » Le sens du rythme n’est pas dans le tympan, sans cela