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ANNÉE 1913

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Beethoven n’aurait pas pu penser une mesure après sa sur- dité. Croyez-vous que je ne sois jamais choquée par le manque d’oreille chez des écrivains entendant parfaitement ? Je reven- dique la responsabilité de mes rythmes, comme n’importe lequel de mes confrères, Toutes mes répliques sont faites pour être dites. La seule chose dont je ne puisse répondre est le contrôle scénique, la diction de tel ou tel interprète.

À Maeterlinck.

Monsieur, je vous ai déjà dit mon émotion en trouvant quelque chose de moi dans un livre de vous, aujourd’hui j’ai à vous remercier d’avoir bien voulu m’envoyer le volume et y joindre quelques mots trop. beaux pour qu’on ose même en remercier, et puisque j’ai ce cruel honneur d’avoir été prise un peu comme partie et de représenter ceux qui pensent de la mort ce qu’il n’en faut pas penser, j’ai bien envie d’avoir du courage et de vous dire à quel point votre livre admirable m’a paru glacial. Est-ce bien vous qui nous offrez ce rêve de l’intel- lectualité pure, et qui vous acharnez avec cet effrayant dédain métaphysique sur le point sensitif de la vie humaine, la per- sonnalité ? Oh ! je ne vous demande pas de nous la sauver du naufrage, mais que vous ne la préfériez pas à tout…

Pour moi, vous m’y avez rattachée éperdument. En vous lisant, Monsieur, en admirant cet hommage si sereinement offert à tout ce qui est humain, à tout ce qui est infini, je cons- tatais, pardonnez-le moi, une dissidence invincible. Il m’a semblé que le plus précieux était ce que vous perdiez, que le miracle humain l’emportait sur l’autre, que le conscient, le « fini » était peut-être le seul miracle dans ce monde sans commencement ni fin. Et ce n’est pas seulement en moi, mais en autrui, que je ne puis consentir à cette mort de la person- nalité. Tout votre infini en est dépeuplé, c’est une solitude pire que celle qui affolait Pascal. J’avoue que la musique et la danse des sphères ne me consoleraient de rien. — S’il n’y a