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354 JOURNAL DE MARIE LENÉRU

temps de mon grand-père et même de mon père, les colonies dépendaient de la marine, les amiraux étaient leurs gouver- neurs, après avoir été leurs conquérants. Quand grand-père commandait la station de l’Atlantique, il commandait l’Afri- que, mais les colonies étaient alors des côtes et des îles…

J’en reviens à Moll fiancé, n’est-ce pas plus émouvant que n’importe quoi de dire à une femme : « Je vais vous envoyer copie de tous les ordres et de toutes les instructions que je vais donner. » « J’agis toujours avec la même coquetterie que si vous étiez là. »

Certes, ce qui le touche, ce qui l’ébranle le plus, c’est l’amour amitié, l’amour mariage, qui n’a besoin d’aucune acrobatie passionnelle pour durer, mais seulement de l’éperon d’une belle existence. Il lui dit carrément que l’amour ne lui suffirait pas, mais il lui dit aussi que s’ila voulu autre chose, « c’est pour mériter une première place au banquet de l’amour ». Mais quel beau noviciat qu’une telle séparation. On est ému d’une at- tente si digne, si frémissante, mais dont pas un mot ne cesse d’être surveillé. Un respect, une retenue virile, pas un cri de théâtre, déjà une simplicité conjugale. Un bon réalisme de l’impatience dans l’inquiétude et la minutie concernant les dates des courriers.

J’imagine que voilà une femme qui en a fini avec le bonheur.

Est-ce mal de penser que ces dures fiançailles et la cruauté de la fin c’était ce que la vie pouvait encore lui donner de plus beau, et surtout, est-ce vrai ? Qu’aurait été le mariage du colo- nel Moll ?

27 avril.

Mme Duclaux me disait hier que, en somme, toutes ces pièces revenaient au même sujet : la supériorité de l’individu sur son milieu. Il y aurait là, en effet, matière très suffisante à alimenter un théâtre, car les combinaisons sont toujours infinies, et l’individu supérieur est ce que ratent généralement