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382 JOURNAL DE MARIE LENÉRU

celle que j’ai passée dans leur maison. Il n’y a pas de jour que je ne revoie ce soleil de la salle à manger qui nous réunissait, soleil qui passait sur le port, la rade, le château, la Pointe espa- gnole, le phare de St ? Anne, le Goulet, C’est un souvenir ému, vivant, quotidien, et plus je vois la vie, plus je comprends la supériorité qui était en eux, et dont vous êtes les si parfaites héritières, aussi pour moi, mes chéries, vous êtes {abou.

À M. Sageret : Tous, hommes de science et de pensée, vous me faites l’effet d’hérétiques. Vous discutez des points de doc- trine, mais jamais, jamais la doctrine. Vous discutez de la Suerre, mais pas la guerre. Sur tous les autres points, vous nous avez habitués à une attitude bien différente. Religion et science — deux ordres de faits si positifs ! — vous avez fait de tout une question. Devant la guerre seule, vous êtes des croyants, à moins que… à moins que vous ne disiez pas tout. — 27 mars.

À Me D… : Verdun a beau tenir bon, ce n’en est pas nioins un cauchemar, On me dit que nous avons aussi les flammes et que nous avons fait 900 aveugles. Etre les contemporains de cela. Et tout le monde a l’air si calme. L’horreur n’est qu’un tout petit frisson de surface.

À Lady Frazer : J’ai espoir en vos hommes d’État. Sir Ed. Grey ne pense pas que la guerre soit la meilleure politique réa- liste et utilitaire. Mais les diplomates ! Ils portent déjà le vibrion des conflits futurs. — 4 juin.

Devant la guerre nous avons encore l’attitude qui était celle des esprits distingués, sous Louis XIV, à l’égard de Dieu, C’est le dernier dogme que l’esprit critique n’ait pas atteint. Tous ces écrivains quin’en reviennent pas que, devant la guerre, les pacifistes soient restés pacifistes. Mais c’est précisément parce que la guerre, qu’il s’agit d’être pacifiste, Et ils sont comme les paysans qui n’arrivent même pas à entendre et à reproduire par l’écriture les sons des syllabes françaises, ils parlent « rêve »