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384 JOURNAL DE MARIE LENÉRU

nable et heureux, que la capacité de souffrir soit si limitée en ce monde. Mais aussi, c’est à ceux qui comprennent de souffrir pour les autres, à la manière de notre chère sainte Thérèse, pour que soit payée l’effrayante dette de douleur que nous lèguent les champs de bataille ; dette collective qu’on s’épou- vante de voir si légèrement ressentie par les épargnés. Devant la guerre ils ne vont pas plus loin que les banales exclamations.

Tout le monde est d’accord, soit, « tout le monde veut la paix ». Mais il ne faut pas dire : « on ne diffère que sur le choix des moyens ». Ce n’est pas cela : il y a ceux qui veulent orga- niser la paix définitive et ceux qui sont « convaincus que c’est une utopie ». Il est assez clair que ce n’est pas avec ces tempé- raments-là que nous ferons jamais la paix. Ah ! devant la dif- férence des réactions dans l’épreuve commune, comme on comprend la différence des destinées individuelles !

Les amitiés littéraires ? Le pis aller de l’envie. L’opinion publique, quel vain mot, tant qu’il n’y aura que des opinions individuelles pour l’interpréter !

À Puech : Je ne me console pas de ce que vous me dites de l’existence de là-bas, mais il faut au contraire me dire le pire. C’est notre devoir de souffrir de loin avec vous, on souffre comme on peut ! Il n’y a pas un degré de quiétude ou d’accom- modement avec la guerre qui ne doive être poursuivi sans pitié, par le rappel de tant de choses impardonnables. Vrai- ment l’horreur n’est qu’un si léger frisson de surface ! Sans cela pourrait-on vivre ? Et l’on vit pourtant, à trop peu de choses près.

> 16 juillet 1916. À Marie B… : Oui, il faut la victoire pour sortir proprement

de cétte guerre. Mais à part le rétablissement belge.et serpe, le retour de l’Alsace-Lorraine, et autres choses analogues, je me