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388 JOURNAL DE MARIE LENÉRU

monde, venant peut-être uniquement d’une erreur verbale Les plus hautes découvertes commencent toujours par une réforme du vocabulaire. — Tant que nous parlerons « d’élé- ments déchaînés », il n’y aura évidemment qu’à nous croiser les bras. Mais s’il s’agissait d’une simple étude psychologique, un critique de goût hausserait les épaules et prierait l’écrivain de rechercher le terme juste. Qu’est-ce qu’un élément humain qu’on déchaîne sous peine de mort ? Où serait cet élément sans toutes les lois sur le service obligatoire, sur l’instruction des cadres, les marchés de l’intendance et les votes de budgets, enfin sans les conseils de guerre et la gendarmerie ?

Un élément qui obéit à vos lois obéira bien aux miennes. Vous parlez des « passions humaines », de « l’instinct de l’homme », des « folies collectives ». Encore une fois, terme im- propre, à peu près un non-sens verbal, panurgisme des mots. Les hommes laissés à eux-mêmes auraient la passion de la paix. IL n’y a pas d’’instinct dans la bête qui la fasse marcher au ca- non. Il n’y a pas un de ces fous qui ne se soit écrié : quelle foliel

Vous pérorez indéfiniment sur la lutte, sur la guerre dans la nature et sur l’animal qui tue. Mais triples nigauds, criminels étourneaux qui vous résignez au comble des combles à cause de cet argument foudroyant, je vous ferai remarquer que le lion, le tigre, l’animal n’est pas un soldat, il n’est pas un guer- rier : il est un chasseur. Mais je vous crois capables de retrouver toute votre quiétude devant les jambes et les bras fauchés, les amputés de trois et quatre membres, les aveugles et ceux qui n’ont plus de visage, parce que, il est vrai, dans la nature il y a les fourmis…

Ce qui me révolte dans la guerre, c’est que je n’ai pas ren- contré l’obstacle sérieux à combattre, c’est que ce fléau mons- tre n’est qu’un moulin à vent ; quiproquo, sinistre vaudeville. A qui fait-on plaisir ici ? Je sais bien qu’il y a les fournisseurs, et les profiteurs de la guerre, mais tout de même, sans le qui- proquo de la raison d’État, ce n’est pas pour eux qu’on signe- rait un décret de mobilisation générale. Chacun pouëse des cris devant l’incendie, chacun voit brûler sa maison, et tous les