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ANNÉE 1888

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Suzanne est bien, bien gentille et charmante physiquement. Le château est très curieux et très intéressant à voir, Nous avons d’abord vu une tour, celle qui donne sur la rade et sur le Cours. En se mettant à chacun de ses créneaux, on avait sous les yeux un panorama différent, c’était très beau. Puis, nous sommes allés au donjon qui est excessivement impo- sant ; malheureusement, Vauban l’a tout changé en faisant des constructions pour que ce soit plus commode. Ainsi il y avait une galerie en plein air qui réunissait la tour d’Anne de Bretagne à celle du nord. Eh bien, les deux tours sont main- tenant reliées par une maçonnerie et la galerie se trouve au milieu, plus en plein air. Nous avons aussi vu les cuisines et l’office. La chambre d’Anne était au-dessus de l’office et par conséquent toute semblable. Ayant vu l’office, c’est donc comme si nous l’avions vue. Mais il paraît que malgré sa prédilection pour son château du Finistère, la duchesse, lors- qu’elle y venait, n’y restait que 24 ou 36 heures. Ensuite, nous sommes descendus dans les caveaux. Cela, c’est épouvan- table : c’est noir, noir, humide, l’eau suinte de tous les côtés. Et quand je pense que les malheureux qu’on y mettait étaient . murés là dedans ! On leur jetait à manger par un trou pratiqué dans le plafond, et lorsqu’ils ne répondaient plus, on démurait la porte pour voir ce qu’ils étaient devenus. On voit, c’est ce qu’il y a de plus affreux, les traces d’une tentative d’évasion, on voit un cachot dont le fond est tout creusé. Et lorsque j’ai vu les oubliettes donc ! Elles ont, au fond, de grands crocs pour recevoir les malheureux qu’on y jetait. Fernande et Henriette y sont descendues, mais Marguerite et moi, nous n’en avons pas eu envie, parce que l’on ne pouvait descendre et remonter qu’un à un, c’eût été trop long. J’étais très ennuyée de penser que c’étaient des ducs qui étaient si cruels que ça ; heureusement que je me disais en moi-même qu’ils avaient été. bien assez punis en 93. A la porte du donjon, on voit encore une sculpture représentant un lion portant un écusson, mais on n’en voit que les traces, parce que 93 a tout gratté. Nous aurions vu bien d’autres choses si nous n’avions

JOURNAL DE MARIE LENÉRU 6