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JOURNAL DE GOUVERNEUR MORRIS

nous verrons s’il y a une place qui vienne à vaquer. Je rends visite à Mme de Staël. De Clermont-Tonnerre s’y trouve ; il me demande s’il peut tenir son rang en Amérique avec 60,000 francs. Je remarque qu’il est abattu. J’exprime mes idées sur la situation des Français ; il en est grandement mortifié, car, de fait, leurs malheurs sont dus à leur folie. Mme de Staël lui adresse quelques discrets reproches sur la faiblesse d’esprit qui fait songer à la retraite. Je lui dis que j’ai abandonné la vie publique pour toujours, je l’espère, mais que si quelque chose pouvait m’inspirer le désir de la reprendre, ce serait le plaisir de rétablir l’ordre en ce pays-ci. On me demande mon plan. Je réponds que je n’en ai pas de défini, mais que je me fixerais un but et que, pour l’atteindre, je me servirais des circonstances telles qu’elles se présenteraient. Pour ce qui est de la constitution, elle n’est bonne à rien, et il faudra retomber dans les bras de l’autorité royale. C’est la seule ressource qui reste pour échapper à l’anarchie. Mme de Staël me demande si mon ami l’évêque soupera chez elle ce soir. « Madame, peut-être M. d’Autun viendra, je n’en sais rien, mais je n’ai pas l’honneur de son amitié. — Ah, vous êtes l’ami de son amie. — À la bonne heure, madame, par cette espèce de consanguinité. » Il paraît que l’évêque s’est invité avec M. de Tonnerre à souper chez elle. De là je vais chez Mme de Laborde. Une table de tric-trac et beaucoup de bavardage ensuite, nous ont retenus jusqu’à une heure.


24 octobre. — M. de Canteleu me dit que Necker lui a écrit que je pouvais lui faire mes propositions au sujet de la lettre sur un quart de feuille. Canteleu, comme tout le monde, est très découragé par les affaires publiques. Il dit que Necker n’a pas les capacités voulues pour s’acquitter de ses fonctions, et qu’il y a un péril égal pour lui à conserver ou à abandonner son poste. Cela est bien vrai. Le