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JOURNAL DE GOUVERNEUR MORRIS

puis répondre qu’au hasard, mais enfin j’estime qu’elle peut monter à un million de boisseaux de blé et 300,000 tonneaux de farine. Il demande s’il n’y a pas de marchandises qui, envoyées de France en Amérique, pourraient servir à l’achat de la farine. Je lui dis que non, les marchandises se vendant à crédit, et la farine au comptant. Il me demande si l’on ne ferait pas bien d’envoyer des navires chercher en Amérique du blé de la part du roi ; c’est une idée qu’on lui a soumise de Bordeaux. Je lui réponds encore négativement, parce que l’alarme se répandrait, et que les prix hausseraient grandement ; les navires pourraient être nolisés pour prendre du blé, de la farine ou du tabac, et ensuite ils suivraient la filière ordinaire des opérations commerciales. Je laisse entendre finalement qu’il y a six semaines, j’aurais pu traiter pour la livraison de cent à cent cinquante mille tonneaux de farine à un prix convenu. Il me demande avec vivacité pourquoi je ne l’ai pas proposé. Je réplique que je ne voulais pas me mettre en avant, façon détournée de lui faire savoir que, s’il avait voulu, il aurait pu s’informer. Il me demande pourquoi je ne proposerais pas ce traité maintenant. Je lui réponds que la commande, déjà faite par lui, fera monter les prix trop haut en Amérique, je le crains. Il assure que ce n’est qu’une bagatelle, seulement 30,000 tonneaux. Je lui dis que c’est 60,000, mais il réplique que les seconds 30,000 sont très incertains. Il insiste beaucoup pour que je fasse une offre. Je déclare que j’y songerai.

Je quitte M. Necker et vais chez Mme de Chastellux. Elle est au lit et en larmes ; elle craint que son frère ne soit tué, ou plutôt mort des blessures reçues à la prise de Belgrade. Je lui donne la seule consolation possible en ce cas, l’espoir que cela n’est pas, car, en détournant le coup pendant quelque temps, son effet a moins de force. La lettre qu’elle a reçue et qu’elle me montre, a mauvais air. Je m’entretiens un peu avec Mme de Ségur au sujet des rap-