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JOURNAL DE GOUVERNEUR MORRIS

empressé. Je l’embrasse plusieurs fois ; il me le rend avec effusion. Ce sera un charmant garçon, dans dix ou douze ans d’ici, pour les petites maîtresses d’alors. Puisignieux est là et quelque temps après arrive Mme de Ségur. Le maréchal souffre de la goutte. Mme de Chastellux doit prendre un bouillon demain avec son ami blond. J’en arrive à croire à la possibilité d’un mariage entre elle et le vieux monsieur, mariage auquel d’autres circonstances donnent grandement raison de songer. Je vais ensuite chez Mme de Staël qui m’a invité hier. Beaucoup de bel esprit. L’évêque d’Autun a refusé de venir ce matin, quand je le lui ai demandé chez Mme de Flahaut. Je ne suis pas assez brillant pour prendre part à la conversation. Les quelques observations que je fais sont plus justes qu’élégantes ; par conséquent, je ne puis amuser. N’importe, elles resteront peut-être quand les autres seront effacées. Je pense que le chemin de la réussite passe ici par les régions supérieures de l’esprit et de la grâce ; je suis à moitié tenté de m’y engager. C’est le triomphe du style sentencieux. Pour y atteindre la perfection, il faut être très attentif, et attendre que l’on vous demande votre opinion ou la communiquer tout bas. Elle doit être claire, piquante et nette ; on s’en souviendra alors, on la répétera et on la respectera. Mais c’est là un rôle qui ne m’est pas naturel. Je ne suis pas suffisamment économe de mes idées. Je crois que de ma vie je n’ai jamais vu vanité aussi exubérante que celle de Mme de Staël au sujet de son père. Parlant de l’opinion de l’évêque d’Autun sur les biens d’église, opinion qui a été imprimée dernièrement, car il n’a pas eu l’occasion de la développer devant l’Assemblée, elle dit qu’elle est excellente, admirable, bref, qu’il s’y trouve deux pages dignes de M. Necker. Elle ajoute plus tard que la sagesse est une qualité très rare et elle ne connaît personne qui la possède au suprême degré, sauf son père.