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JOURNAL DE GOUVERNEUR MORRIS

jeux de mots m’échappent ; parmi les autres invités, chacun était occupé soit à placer un bon mot, soit à en préparer un ; il n’est donc pas étonnant que pas un ne trouve le temps d’expliquer celui de son voisin. Tous s’accordent à dire que nous vivons dans un siècle manquant au même degré de justice et de goût. Chacun trouve dans le sort de ses propres œuvres de nombreux exemples pour justifier ses critiques. On me dit, à ma grande surprise, que le public condamne maintenant les pièces de théâtre avant même de les avoir entendues, et pour m’enlever mes doutes, la comtesse a la bonté de m’assurer qu’une décision aussi téméraire a été prise pour une de ses pièces. Nous nous levons de table en nous apitoyant sur la décadence moderne. Je prends congé aussitôt après le café, qui ne déshonore d’aucune façon le repas précédent ; la comtesse m’informe que le mardi et le jeudi elle est toujours chez elle, et qu’elle sera toujours contente de me voir. Tout en bégayant quelque compliment comme réponse, je suis intimement convaincu de mon indignité à prendre part à des festins aussi attiques, et je me promets de ne plus jamais occuper la place d’où j’ai peut-être exclu un personnage plus digne.


5 mars. — Voyage à Versailles avec M. Jefferson, pour rendre visite à M. de Montmorin, qui se montre poli, mais laisse entendre qu’il est déjà dérangé plus qu’il ne le voudrait par des étrangers. Nous nous rendons ensuite chez le comte de La Luzerne, qui me reçoit avec un air de hauteur que je n’avais jamais éprouvé jusqu’ici. À la lecture de la lettre d’introduction que m’a donnée son frère le marquis, ses traits et ses manières s’adoucissent immédiatement, et il se montre affable. Il rejette sur la goutte dont il souffre à la jambe la faute de son mauvais accueil, devant lequel je n’avais pu m’abstenir de faire la grimace. Je mets fin à cette visite le plus vite possible,