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JOURNAL DE GOUVERNEUR MORRIS

demande quelle place il a, quel en est le revenu, s’il en pourra vivre, etc., en lui faisant observer qu’il a eu tort de l’accepter si elle ne lui assure pas une position indépendante. Il dit que c’était la seule porte qui lui restât ouverte.


27 janvier. — Je dîne aujourd’hui avec la duchesse d’Orléans et je vais de là au Louvre. Mme de Flahaut a sa sœur avec elle ; celle-ci est arrivée à Paris dans une grande détresse, et Mme de Flahaut lui a envoyé de l’argent, malgré sa propre misère. Je les quitte et vais chez Mme de Staël. Je rentre de bonne heure, après avoir absorbé beaucoup de thé léger.


29 janvier. — J’écris dans la matinée, et à midi j’emmène Mme de Chastellux. Nous allons ensemble à Choisy dîner avec Marmontel. Ses idées sont justes. Après le dîner il m’expose sa manière de contester la doctrine récemment inventée des Droits de l’homme, en demandant une définition du mot droit ; de cette définition, il tire une conclusion contre la soi-disant égalité des droits. Il admet pourtant que tous sont égaux devant la loi et soumis à la loi. À mon tour je nie cette assertion, et lui fais remarquer que là où existe une grande inégalité de rang et de fortune, celle égalité supposée de la loi détruirait toute proportion et toute justice. Si la peine est une amende, elle opprime le pauvre mais ne touche pas le riche. Si c’est un châtiment corporel, il avilit le prince mais ne blesse pas le mendiant. Il est profondément impressionné par cette observation. Je n’en tire qu’une conclusion : c’est qu’en morale toutes les règles générales sont sujettes à de nombreuses exceptions ; que, par suite, les conséquences logiques de ces règles sont forcément souvent erronées. J’aurais pu (comme je l’ai fait quelquefois) pousser ma remarque un peu plus loin, jusqu’à la compensation légale des dommages, où les variétés sont plus grandes, parce que l’offen-