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JOURNAL DE GOUVERNEUR MORRIS

Marais, où je rends visite à M. et à Mme de La Luzerne. Ils me reçoivent d’autant mieux que mes attentions ne peuvent pas prêter au soupçon, maintenant qu’il n’est plus ministre. Je rends visite à Mme de Nadaillac, chez laquelle j’ai une altercation un peu vive avec son mari, qui, entre autres idées ridicules dues à la folie aristocratique, exprime le désir de voir la France démembrée. — Visite de quelques minutes à Mme de Chastellux. Elle doit m’informer demain si l’expédition à Sceaux aura lieu le jour suivant. Je ne puis attendre Son Altesse Royale, mais je fais une courte visite au Louvre. La journée a été excessivement belle. L’enterrement de Mirabeau (suivi, dit-on, par plus de cent mille personnes, dans un silence solennel) a été un spectacle imposant. C’est un grand tribut payé à des talents supérieurs, mais nullement un encouragement à la vertu. Des vices, aussi dégradants que détestables, ont marqué cette créature extraordinaire. Complètement prostitué, il a tout sacrifié au caprice du moment : Cupidus alieni, prodigus sui ; vénal, impudent, et pourtant très vertueux quand un motif sérieux le poussait, mais jamais vraiment vertueux, parce qu’il ne fut jamais sérieusement sous le contrôle de la raison, ni sous la ferme autorité d’un principe. Dans le court laps de deux années, j’ai vu cet homme sifflé, comblé d’honneurs, haï et pleuré. L’enthousiasme vient de faire de lui un géant ; le temps et la réflexion le diminueront. Les oisifs affairés du moment devront trouver quelque autre objet à exécrer ou à exalter. Tel est l’homme et surtout le Français.


8 avril. — Dîné aujourd’hui avec M. de Montmorin. Après le dîner, je le prends à part et lui exprime mon opinion qu’une dissolution hâtive de l’Assemblée actuelle serait dangereuse. Les nouveaux élus seraient choisis par les Jacobins, tandis qu’en laissant s’écouler quelques mois, les Jacobins et les municipalités seront en guerre, ces dernières refusant de subir le joug des premiers. Il dit qu’il redoute