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JOURNAL DE GOUVERNEUR MORRIS.

redoute, je parle d’acheter des terres en Amérique. Le comte et son beau-frère penchent beaucoup vers cette mesure. Brémond revient me dire qu’il est informé par Muller, l’homme de confiance de l’Électeur de Mayence, que les agents français agissent comme s’ils ne tenaient pas à s’entendre avec les princes allemands. Il dit, que si la Cour n’a pas l’intention d’arranger cette affaire à l’amiable, il suppose qu’on n’adoptera pas celle des rations. Il a raison dans ses suppositions, mais je réponds simplement en répétant ce que j’avais déjà dit : que l’affaire est extrêmement délicate. Le domestique de Mme de Chastellux vient m’avertir qu’elle part demain pour accompagner son fils à Eu. J’envoie chercher l’enfant et j’écris à sa mère. Je passe quelques instants avec le baron de Besenval qui, dans l’ardeur de son zèle pour la cause du despotisme, me dit que tous les princes d’Europe sont ligués pour rétablir l’ancien système de gouvernement français. L’idée est assez ridicule ; il y a pourtant des milliers de gens qui ne sont pas fous et qui y croient ; mais c’est le sort de l’homme d’être à jamais la dupe de vains espoirs ou de craintes futiles. Nous sommes trop poussés à oublier le passé, à négliger le présent et à juger mal l’avenir. Je vais ensuite dîner chez Mme de Trudaine, et après le dîner son mari s’engage dans une dispute avec Saint-André au sujet des droits des princes propriétaires de fiefs en Alsace. M. de Trudaine est un très honnête homme, mais il défend une opinion très malhonnête, bien que très commune chez les gens faibles au sujet des affaires publiques. Cette controverse se réduit à une question de droit et à une question de fait. Par divers traités les princes ont stipulé que les fiefs dont il s’agit relèveront comme auparavant de l’Empire d’Allemagne. La question de droit est donc de savoir si cette mouvance ne les exempte pas des décisions générales de la nation française concernant ce genre de propriété. La question de fait est de savoir si, de par ces traités, — quoad