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JOURNAL DE GOUVERNEUR MORRIS

ministres aident à détruire l’autorité ministérielle, sans savoir ni ce qu’ils font, ni ce qu’ils devraient faire. M. Necker, qui croit tout diriger, n’est peut-être lui-même qu’un instrument au même degré que ceux dont il se sert. Je crois que l’on désire sa chute, mais elle ne surviendra pas aussi vite que ses ennemis s’y attendent. Le hasard décidera qui pourra diriger les États généraux, si toutefois ceux-ci se laissent diriger. Grand Dieu ! quelle scène cela fournirait à un caractère hors ligne ! La Fayette m’a donné ce matin un avant-goût du côté drolatique du drame. Le duc de Coigny, l’un des amants de la reine, a reçu, de ses commettants, l’ordre de proposer qu’en cas d’accident la reine ne soit pas régente, et lui, La Fayette, détesté à un degré égal par le roi et la reine, se dispose à combattre cette proposition. Je lui soumets un ou deux arguments qui me viennent à l’esprit en faveur de sa thèse, mais il veut se placer sur un terrain différent. Toutes ses préférences vont à une république, tandis que mon opinion, basée sur la seule nature humaine, ne doit pas avoir beaucoup de poids dans un siècle si raffiné. Il serait, en effet, ridicule que ceux qui affectent de ne pas croire en Dieu crussent en l’homme.


18 avril. — Cet après-midi, nous prenons une tasse de thé en tête à tête avec Mme de Ségur, tout en conversant agréablement. Le thé est très bon, mais la conversation de la maréchale est encore bien plus exquise que son thé, qui vient de Russie. Le maréchal de Duras arrive, et adresse beaucoup de galanteries et quelques conseils à Mme de Ségur, qui parait également insensible aux unes et aux autres. Je vais ensuite passer une heure avec Mme de Chastellux au Palais-Royal ; je la trouve avec son fils sur ses genoux. Une mère dans cette situation est toujours intéressante, mais la perte que celle-ci vient de faire la rend plus particulièrement telle. Au cours de la conversation, comme je m’informe de la santé de la prin-