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JOURNAL DE GOUVERNEUR MORRIS

chaleur et de poussière. Je trouve à Louveciennes une nombreuse société, et, entre autres, M. Delville, qui se plaint de la mauvaise qualité du tabac que lui a envoyé M. [Robert] Morris. Je lui explique la nature du contrôle ; j’ajoute que je ne me plains pas de la conduite de la ferme, qui a été honnête et généreuse, mais que tout le mal provient du comte de Bernis. Le soir, promenade en voiture jusqu’à la Malmaison. Mme Dumolley est très jolie, mais je m’aperçois qu’il ne faut aller la voir que les jours de fête. Est-ce parce que, les autres jours, il lui est impossible d’offrir un dîner acceptable ? ou bien parce qu’il lui déplaît d’être dérangée les autres jours, ou parce qu’elle veut éviter aux autres le risque de venir en son absence ? C’est cette dernière raison qu’elle donne, mais c’est la seconde que je crois la bonne. Je repars pour Paris un peu avant dix heures, mais mon cocher s’endort, et nous sommes sur le point de verser dans un fossé. J’essaye plusieurs fois de le réveiller, et comme il continue à conduire en dépit du bon sens, je l’arrête pour lui demander s’il est ivre. Je lui dis, s’il se trouve dans ce cas, de descendre de son siège et de donner sa place à mon domestique ; si, au contraire, il est dans son état normal, de continuer son chemin, en apportant une plus grande attention, car, s’il culbute la voiture, je lui passerai immédiatement mon épée à travers le corps. Cette menace produit le résultat voulu, et lui rend tous ses moyens. Il est inutile de supposer que cet homme soit une créature raisonnable. S’il s’était jeté dans les fossés, qui sont à sec, avec des parois perpendiculaires de six pieds de haut, il y a mille chances contre une que je ne serais pas en état de rien faire, ni lui de rien subir, mais l’habitude l’a familiarisé avec le risque de verser. L’autre danger, au contraire, l’impressionne par sa nouveauté, et il ne réfléchit pas, au moins avant d’être tout à fait revenu à lui, que je n’ai sur moi d’autres armes que ma canne.