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JOURNAL DE GOUVERNEUR MORRIS

avec une chandelle qu’ils mettent dans la poche de diverses personnes, y compris l’évêque, et qu’ils allument quand leur attention est distraite, à la grande joie des spectateurs. Nous en rions à gorge déployée, mais la duchesse garde son sérieux le plus qu’elle peut. Ce doit être un tableau édifiant pour les domestiques placés en face de nous et les villageois qui prient en bas. À l’issue de cette cérémonie, nous commençons notre promenade, qui est assez longue, malgré la chaleur. Nous prenons des bateaux, et les messieurs rament pour les dames, ce qui est loin de nous rafraîchir. Ensuite, nouvelle promenade, qui me donne très chaud ; j’ai une véritable fièvre. Je vais au château, où je dors un peu en attendant le dîner qui n’a lieu qu’à cinq heures. Nombre d’individus se pressent aux fenêtres, et sans doute se font une haute idée de la compagnie qu’ils ne peuvent examiner que de loin. Ah ! s’ils connaissaient le sujet des conversations, leur respect ferait vite place à un sentiment tout différent. Le comte de Ségur compose l’épitaphe de Mme de Saint-Simon ; il y est question de ses mœurs dissolues, et cela en termes à peine voilés. Elle lui répond d’un ton sérieux qu’il a tort de la courtiser, car c’est la vanité seule qui le pousse à vouloir inspirer des sentiments que lui-même ne ressent pas. Il se défend en faisant remarquer que, même s’il réussissait, il ne saurait s’en montrer fier, la cour que l’on fait à une femme ressemblant à une partie d’échecs ; après un certain nombre de coups, le succès est certain. Elle en convient, et conclut avec d’autant plus de raison que, dans ce cas, il est ridicule de les courtiser. Je crois comprendre les sous-entendus de ce dialogue, mon attention ayant déjà été attirée sur les personnes en cause, sans qu’on les eût nommées. Après le dîner, le temps, qui était chaud, se rafraîchit, et le feu est très supportable. On fait une nouvelle promenade, mais je refuse d’y prendre part, étant complètement à bout de forces. Un peu avant huit heures, retour à Paris, en