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JOURNAL DE GOUVERNEUR MORRIS

exacte. Elle a déclaré seulement que l’ancien ministère emporte avec lui les regrets de l’Assemblée, qu’elle continuera à réclamer l’éloignement des troupes, et que les conseillers de Sa Majesté, quels que soient leur rang et leur situation, sont responsables de ce qui peut arriver. C’était hier la mode à Versailles de nier qu’il y eût des désordres à Paris. Je crois que ce qui s’est passé aujourd’hui donnera lieu de penser que tout n’est pas parfaitement tranquille. De chez M. Le Couteulx, je vais chez Mme de Flahaut qui est bien inquiète. Son mari, me dit-elle, est téméraire, et elle craint beaucoup pour sa sécurité. J’assiste à une scène de famille où elle joue très bien son rôle, et me demande mon avis sur une question délicate. Je lui réponds que c’est une règle chez moi de ne pas intervenir dans des discussions d’ordre aussi intime. On discute pour savoir s’il doit quitter la ville. Je lui conseille, s’il le fait, de partir à midi, etc. Tandis qu’il était avec nous, comme madame avait une écritoire sur les genoux, je lui griffonnai de mauvais vers, afin d’exciter sa curiosité. Il me demanda de les lui traduire. Rien de plus facile ; malheureusement l’une des idées n’est pas faite pour lui plaire. Voici les vers :

« C’est grelottant de fièvre que j’écris sur vos genoux ; n’attendez donc que de pauvres vers ; cependant, malgré le proverbe, croyez-moi quand j’ai recours à la poésie.

« Je ne suis pas amoureux ; je suis, hélas ! trop vieux pour allumer en vous une flamme. Veuillez accepter ma froide passion, et lui donner le beau nom d’amitié. »

Mme de Flahaut me dit que son mari avait l’air un peu sot, en m’entendant dire que j’étais trop vieux pour exciter une passion. Je lui réponds que je ne cherchais qu’à exciter la curiosité. Elle observe que j’ai réussi, mais que son mari était ridicule de demander une explication,