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JOURNAL DE GOUVERNEUR MORRIS

Le sujet est : l’Amour échappé de sa cage et laissant par sa fuite les dames en proie à l’angoisse et au désespoir. L’expression ne correspond pas à mon idée de la puissance de cet art, mais la lumière et l’ombre sont distribuées dans ce tableau avec une perfection étonnante. Le peintre nous montre un autre tableau, emprunté à l’Énéide, qu’il fait pour le roi : Vénus, dans le temple des Vestales, arrêtant le bras levé pour répandre le sang d’Hélène. Je lui dis qu’il ferait mieux de peindre la prise de la Bastille ; ce sera un tableau d’actualité, et un trait fournira un bel effet. C’est celui du soldat de la garde française qui, ayant saisi la porte et ne pouvant pas l’abaisser, crie à ses camarades de la populace de le tirer par les jambes. Cet homme a eu la force et le courage de tenir bon, tandis qu’une douzaine de gens tiraient sur lui comme sur une corde pour faire baisser le pont-levis ; il a absolument subi le supplice du chevalet. Cela produirait un bel effet, me semble-t-il, de le représenter désarticulé et tournant la tête pour les encourager à tirer encore plus fort. L’évêque d’Autun partage absolument mon avis. Au retour, nous rencontrons M. de Ruillé, qui écrit, dit-on, une histoire de la Révolution actuelle. Il promet de venir me voir au club et de me donner des nouvelles de M. Necker. Je ramène l’abbé chez lui et me rends au club. M. de Ruillé me dit qu’on n’a pas encore de nouvelles de M. Necker, mais que l’on attend ce soir un exprès, et que, s’il n’a pas dépassé Bruxelles, il pourra être rentré demain soir. Je recommande de faire une souscription pour rassembler les divers papiers trouvés à la Bastille, et de charger ensuite une personne capable, d’écrire les annales de ce château diabolique depuis le commencement du règne de Louis XIV jusqu’aujourd’hui. Je crois qu’on fera quelque chose dans ce sens. Je suggère aussi de faire de la garde française une garde bourgeoise avec solde élevée, et de maintenir le renom de ce corps en y incorporant tous ceux qui, par