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JOURNAL DE MARIE LENÉRU

jours les deux pieds sur la même minute. D’ailleurs je ne m’aime pas, je ne sais pas comment je suis plus tourmentée de moi que d’une autre.

Maman me disait qu’elle s’était fourvoyée dans un article : J’avais beau passer, passer, plus je passais, plus c’était bête !

Aline disait que les hommes se mariaient moins et je réponds gravement : les femmes aussi.

Il est joli, pas brillant et odieux, l’air canaille, dit maman et j’ajoute : oui, et canaille pas sympathique.

Sur le trottoir avec M…, costume blanc, revers noir, mon uniforme d’Aiglon, rien dans les mains, pas d’ombrelle. Un homme arrosait. M… sur mon passage a relevé de sa canne la pomme de l’arrosoir. L’homme allait protester, il lève le nez et nous regarde passer. Les plus subtils hommages mondains vous plaisent moins que cela.

Il est délicieux de passer en public avec un être, homme ou femme, de votre race et de votre allure. C’est surtout dans la marche qu’on jouit de ces affinités. Instinct de gratitude envers les corps qui se meuvent à votre manière, qui furent lancés dans la vie sous le rythme d’une même loi.

Bien en dehors de l’amour, le réseau sensuel des sympathies physiques nous emmaille, nous isole ou nous relie.