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JOURNAL DE MARIE LENÉRU

Un moral ! Est-ce bien moi qui n’en ai plus ? Je ne souhaite plus rien, je travaille sans désirer le succès et ce succès, si je le rencontre, je ne désire pas le poursuivre.

Je ne désire que les ensembles, une vie qui serait complète de toutes parts, et pour cela une accumulation de résultats encore si lointaine, lointaine…

Malgré tout ce qu’on pourrait croire, je suis trop humaine pour mon état et je crois tout perdre, parce que le normal ne m’est pas arrivé.

Les normaux, qui sont la pluralité, donnent leurs définitions et nous les en croyons avec superstition.

Pourquoi me démoraliser par idée préconçue et succomber par préjugé à la « tendresse du regret » ? Au fond qu’y a-t-il dans cette vie normale en toute lucidité ?

Il y a certainement le mariage heureux. Mais dans le plus beau mariage, et surtout s’il s’agit de la femme, préserve-t-on cette énergie vitale de la solitude vers laquelle se portent si étrangement nos préférences ?

Enfant, l’on ne tient aucun compte, on méprise même tout à fait les saintetés qui ne furent pas vierges. Plus tard, on s’attache moins sans doute à l’intégrité absolue, mais nous en avons le goût, la secrète préférence des vies libres. Toutes proportions gardées, considérez ce qui se passe en vous quand vous dites : Wagner ou Louis de Bavière, George Sand ou l’Im-