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année 1898

et je n’espère pas. J’attends en vain et je ne suis pas déçue. Serait-ce l’indifférence ?

Je commence à croire qu’il n’est pas si difficile qu’on le pense, de se désintéresser de soi, et de voir venir le néant avec à peine un regret de l’être qu’on fut. La personnalité est un préjugé qu’on arrive à perdre. Nous n’existons que par effort, nous éprouvons tous la difficulté d’être de Fontenelle.

Le bonheur et la perfection ?

Ce n’est pas leur impossibilité mais leur insuffisance qui arrête… Qui n’a pas sérieusement peur du Paradis ? S’il fallait seulement souhaiter notre félicité, comment nous y prendrions-nous ? Je ne pense même pas aux inconvénients de ce monde, je dis que nous ne savons pas imaginer le bonheur.

… Donc ce qui me devient maintenant insupportable ce ne sont pas les conséquences immédiates de mes infirmités ; mais c’est l’habitude de la tristesse. J’ai un besoin physique de joie, d’exubérance, d’être jeune ; cette tristesse invétérée m’asphyxie ! Je suis empoisonnée d’une atmosphère d’hôpital.


Mercredi.

N’est-ce pas que ce que tu perds est moins ce qui a été que ce qui aurait pu être, et que le pire des adieux