Page:Journal des économistes, 1844, T8.djvu/105

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calculée dans les industries automatiques, que la moindre interruption, que l’absence d’un rouage, celle d’un ouvrier, oblige à suspendre tout travail et qu’il y a perte de force considérable. Ce ne sont pas les deux heures de moins sur un nombre limité d’ouvrières que craignent les fabricants, c’est la désorganisation du système automatique des usines qui est pour eux à redouter.

On s’étonne à bon droit de voir les grands propriétaires anglais à la tête de cette pensée de réforme. Ils ont entre leurs mains des moyens bien plus sûrs, bien plus efficaces, pour diminuer les souffrances des pauvres ouvriers : qu’ils laissent entrer le pain à bon marché. Et ce ne seraient pas quelques milliers de femmes et d’enfants seulement qui alors se trouveraient soulagés, ce serait la masse des travailleurs tout entière.

Mais ce remède, on le comprend, coûterait quelque chose aux philanthropes : ils aiment mieux se montrer généreux sans bourse délier.

Dans toutes ces tentatives de réforme, nous avons été frappé de voir que ce ne sont jamais que les ouvriers des grandes usines pour lesquels on demande la protection des lois ; or, ce n’est pas là que sont les plus grandes misères, et dans les ateliers appelés de famille il existe souvent une barbarie mille fois plus répréhensible. Il est telle industrie, au milieu de Paris et de Londres, sur laquelle la police n’a aucune action, et où les enfants et les femmes sont bien plus maltraités que dans les grandes usines. Là, dix-huit heures de travail, des coups pour récompense, une nourriture insuffisante, sont le lot ordinaire de jeunes apprentis que la loi de police devrait protéger. On a créé des sociétés pour la protection des jeunes voleurs : ces sociétés devraient chercher à étendre leur action sur les jeunes travailleurs encore honnêtes.

La liste du prix de fabrication de certains objets donne une idée du salaire que, dans Paris même, une jeune ouvrière peut recevoir ; c’est surtout pour les ouvrières en linge que ce salaire est insuffisant. Il faut travailler vingt heures pour gagner 80 cent, à 4 fr., et cela quand l’ouvrage est abondant ! À Paris, les prisons font aux pauvres ouvrières honnêtes une concurrence ruineuse. Saint-Lazare contient mille ouvrières nourries et logées, et dont le travail est à bas prix.

Quoiqu’il en soit, la motion de lord Astley n’a pas été prise en considération. Les manufacturiers ne tireront pas un bien grand avantage de ce rejet, de même que les ouvrières n’eussent pas tiré un bien grand avantage de la diminution des heures de leur travail. Dans les grandes manufactures, ce travail n’est réellement pas au-dessus de leurs forces, et toutes les précautions sont prises pour que les conditions sanitaires soient les meilleures possible ; certes, on respire un air plus sain dans une filature que dans les tristes réduits où le pauvre, libre et oisif, vit au milieu de l’ordure et de la fange ; plus sain que celui des villages où le fumier est l’ornement de tous les seuils ; plus sain que celui des quartiers de Paris les plus populeux, le faubourg Saint-Marcel par exemple.

La Chambre des députés a chez nous voté plusieurs lois, celle des patente », celle de la chasse entre autres ; elle poursuit aujourd’hui la discussion de la loi sur les brevets d’invention. Nous remarquons avec plaisir la tendance générale, qui semble être de ne regarder les brevets que comme un simple enregistrement, une date certaine ; il serait fâcheux que l’opinion contraire prévalût, et que l’État voulût devenir le juge d’inventions qui souvent sont regardées à leur début comme des rêves. M. Arago l’a prouvé par mille exemples.