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poussière à son ennemi ; tous ceux-là sont convaincus qu’il triomphera de l’esprit militaire, comme il a triomphé de l’esprit de monopole.

Au moment où cette nouvelle campagne vient d’être ouverte par le chef de la Ligue, assisté de ses dévoués et éloquents collègues, J. Bright et W.-J. Fox, nous croyons qu’on lira avec plaisir un compte-rendu de deux brochures publiées par lui, il y a quatorze ans[1], et dans lesquelles la plupart des idées qu’il s’est efforcé depuis de faire passer dans la pratique sont exposées avec beaucoup de verve et d’éloquence. Ces deux brochures renferment à la fois le programme économique et le programme politique de M. Cobden. Grâce aux efforts de la Ligue, le premier est devenu aujourd’hui le programme de l’Angleterre ; le second est encore à l’état de théorie ; mais, l’esprit de la démocratie aidant, nous espérons bien qu’il servira avant peu de règle, non-seulement à la politique de l’Angleterre, mais encore à celle de toutes les autres nations civilisées.

La politique britannique a été longtemps considérée comme le chef-d’œuvre de l’habileté ; c’est à elle bien plus qu’au génie actif et industrieux du peuple anglais que l’on a attribué le rapide développement de la fortune de l’Angleterre ; aujourd’hui encore, elle est fréquemment recommandée à l’imitation des peuples. Quelle est donc cette politique-modèle ? Elle est fondée tout entière sur la fausse hypothèse qu’aucune nation ne saurait grandir et prospérer, si ce n’est par l’amoindrissement et la ruine de ses voisins. Sous l’empire de cette erreur économique, les hommes d’État anglais s’efforçaient incessamment de mettre aux prises les États rivaux de l’Angleterre, ils semaient le désordre, ils suscitaient la guerre, et plus tard, quand les peuples fatigués invoquaient la paix, ils profitaient de la lassitude générale pour ajouter à l’empire britannique quelque lambeau de territoire. Alors ils triomphaient : n’avaient-ils pas agrandi le domaine de leur nation et diminué la puissance des nations rivales ?

Cette politique de violence et de ruse, qui avait pris naissance à une époque où les peuples, ignorant les véritables sources de la richesse et du bonheur, ne se proposaient pas de but plus noble et plus utile que de se ravir les uns aux autres les fruits de leur travail ou la terre que ce travail fécondait ; cette politique, basée sur les plus mauvais instincts de l’âme humaine, n’était pas, à la vérité, particulière à l’Angleterre ; tout le monde s’en servait ; mais depuis Rome, aucun peuple ne l’avait pratiquée avec autant de supériorité que le peuple anglais. Depuis le seizième siècle, l’Angleterre, poursuivant patiemment, sans se lasser un seul jour, son œuvre de conquête et de domination, a successivement réussi à affaiblir l’Espagne, la Hollande et la France ; elle a retardé tantôt par ses lois restrictives, tantôt par ses armes, le développement de ces trois grandes nations dont la puissance lui faisait ombrage, et elle a édifié sur les ruines de leurs flottes et de leurs établissements d’outre-

  1. I. England, Ireland and America, by a Manchester manufacturer. London, 1835. — II. Russia, by Richard Cobden, esquire, author of England, Ireland and America. Edimburgh, 1836.