Page:Journal des économistes, 1848, T20.djvu/222

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mer sa suprématie maritime et coloniale. Aujourd’hui, elle est la maîtresse de la mer, et, comme autrefois le roi d’Espagne, la reine d’Angleterre peut dire : « Que le soleil ne se couche jamais dans ses États. »

Au premier aspect, rien de prestigieux comme tout cet étalage de grandeur ; rien de plus propre à éblouir un peuple orgueilleux ; rien de plus propre aussi à donner le change sur les sources où les peuples vont puiser les éléments de leur prospérité. En voyant l’Angleterre dépasser successivement les autres pays, ne devait-on pas dire : Elle est devenue puissante et fortunée parce qu’elle a vaincu ses rivaux et qu’elle s’est enrichie de leurs dépouilles ; elle s’est élevée parce qu’elle a abaissé les autres nations ? En y réfléchissant mieux, on aurait remarqué qu’il lui avait fallu, pour triompher de ses adversaires, puiser en elle-même des forces supérieures à celles dont ils disposaient ; on aurait remarqué qu’elle devait sa victoire à sa supériorité, et non sa supériorité à sa victoire ; on aurait remarqué aussi qu’en diminuant les forces et les ressources des autres nations, elle avait nécessairement diminué les siennes, car la guerre est coûteuse pour les vainqueurs comme pour les vaincus. Malheureusement, la nation anglaise, séduite par les apparences fastueuses du système en vigueur, ne portait pas si loin ses investigations ; elle ne recherchait point si une politique plus modeste et plus juste n’aurait pas été plus réellement utile à ses intérêts ; si, en développant ses ressources intérieures au lieu de s’attacher à diminuer celles d’autrui, elle n’aurait pas acquis une prospérité plus solide et plus générale en même temps qu’une grandeur plus vraie et plus durable.

Un jour vint cependant où les yeux commencèrent à se dessiller, où les esprits les plus éclairés, les plus progressifs de l’Angleterre commencèrent à mettre en doute l’efficacité de la politique que les générations s’étaient léguée depuis tant de siècles ; ce furent d’abord quelques philosophes qui, en étudiant le mécanisme des sociétés humaines, s’aperçurent que les peuples se trouvent naturellement rattachés les uns aux autres par un étroit lien de solidarité, de telle sorte qu’aucune nation ne peut prospérer ou décliner sans que toutes les autres nations prospèrent ou déclinent. Ayant fait cette découverte, ils devaient naturellement attacher un regard scrutateur sur la politique de leur pays, car cette politique dérivait d’un système diamétralement opposé. Si elle était salutaire, si elle contribuait à accroître la fortune du pays par ce fait qu’elle empêchait la fortune des autres pays de se développer, évidemment l’idée de solidarité était une idée fausse, et la politique de justice et de raison qui en découlait était une politique funeste. Pour justifier leur principe, pour se convaincre eux-mêmes de la vérité de leur théorie, les apôtres de la science nouvelle étaient donc tenus d’examiner et de peser les résultats de la politique traditionnelle de la Grande-Bretagne. Ils n’y manquèrent point, et c’est dans le livre de la Richesse des nations que l’on trouve la première grande protestation de la science contre la politique internationale des peuples européens.

Mais les esprits n’étaient point mûrs encore pour les enseignements des économistes ; le système en vigueur servait trop bien les passions d’une minorité égoïste et les préjugés d’une foule ignorante pour que l’on se décidât à l’abandonner sur la foi de quelques esprits spéculatifs : on attendit, pour le juger, qu’il eût porté de nouveaux fruits. L’attente ne fut pas longue ; une guerre générale eut lieu, et l’Angleterre en sortit victorieuse. Quel fruit retira-t-elle de sa victoire ? Vingt ans après elle succombait sous le faix de son