Page:Journal des économistes, 1848, T20.djvu/223

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paupérisme et de sa dette ! Assurément l’expérience était complète, décisive. La politique ancienne avait décidément échoué ; il devenait urgent de la remplacer par une politique nouvelle.

Il y avait à cette époque (1835) à Manchester, un jeune imprimeur sur coton qui avait réussi, grâce à un travail actif et persévérant, à se créer une assez belle position industrielle. Profondément touché des misères qu’il avait sous les yeux, et s’apercevant bien que les remèdes imaginés pour les combattre n’étaient que de vains palliatifs, il se mit à étudier le système politique et économique de son pays, dans l’espoir d’y trouver la source du mal. Esprit positif et pratique, doué au plus haut degré du sens des affaires, il s’appliqua avant tout à examiner le livre des comptes de l’empire britannique. À la première colonne du passif il aperçut, sous l’intitulé de dette nationale, une somme de 800 millions sterling. Voilà, pensa-t-il, une maison bien lourdement grevée ; il n’est pas étonnant que ses chefs et ses travailleurs aient si grande peine à faire honneur à leurs engagements. Cela dit, il rechercha dans quelles circonstances et dans quel but on avait dépensé ces 800 millions sterl. Il trouva que 300 millions avaient servi à acheter ou à conquérir des colonies, et que le restant avait été consacré à guerroyer avec les nations du continent. 300 millions pour des colonies, 500 millions pour des guerres, c’était bien un peu cher, mais peut-être les colonies rapportaient-elles plus qu’elles n’avaient coûté ; peut-être encore les guerres avaient-elles été nécessaires pour assurer la sécurité et développer l’influence de la Grande-Bretagne. Quelle ne fut point la surprise de notre cotton-printer lorsqu’il s’aperçut que le plus grand nombre des budgets coloniaux se soldaient en déficit, bien loin de rapporter un profit à la mère-patrie ! Quoi, se dit-il, ces immenses domaines qui nous ont coûté 300 millions sterl. ne nous rapportent pas un denier ! pis que cela, nous sommes obligés d’y mettre du nôtre ! Décidément l’affaire est mauvaise, ce n’est pas un manufacturier de Manchester qui l’aurait conclue. À la vérité, nos colonies servent de débouchés à notre Industrie, et notre Industrie est la solide base sur laquelle repose l’édifice de notre puissance nationale… Ne nous pressons donc pas trop de réprouver le système colonial ; voyons, avant de prononcer, quelle est l’importance du débouché de nos colonies. Nous y envoyons annuellement pour 15 millions sterl. de marchandises sur 50 millions sterl. d’exportation totale. 15 millions sterl. ! c’est précisément l’intérêt du capital que nous ont coûté nos établissements coloniaux. Nous avons dépensé un capital pour acquérir la faculté de vendre une quantité de marchandises égale en valeur à l’intérêt de ce capital ! Voilà, n’est-il pas vrai, une détestable opération ? N’est-ce pas absolument comme si j’achetais pour 20,000 liv. sterl. une terre sans rapport, afin de vendre aux paysans pour 1,000 liv. sterl. de cotonades ! On me traiterait de fou et l’on n’aurait pas tort. Mais ce n’est pas tout ; si je ne me trompe, nous payons en Angleterre les denrées coloniales plus cher qu’on ne les paye en Suisse ou en Allemagne ; il me semble pourtant que nous devrions les obtenir à meilleur marché, puisque nous possédons des colonies, et que la Suisse et l’Allemagne n’en possèdent pas. Pourquoi donc les payons-nous plus cher ? Parce que nos colonies ont besoin de protection. Ainsi nous avons conquis des colonies uniquement pour les protéger à nos dépens ! Allons, je vois bien que les nobles lords qui dirigent nos affaires auraient mieux fait de laisser au fond de nos poches 300 millions sterl. qu’ils en ont tirés pour constituer « notre grandeur coloniale. »