Page:Journal des économistes, 1849, T23.djvu/233

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verse qu’il faut dire : elle est riche, non pas parce qu’elle a des canaux, mais elle a des canaux parce qu’elle est riche. Vous ouvrez un système économique de communication de tous les points du royaume avec les deux mers, c’est une entreprise très-heureuse, très-productive, si tous les points du royaume ont quelque chose à y envoyer ou en recevoir, si sur tous les points du royaume vous avez, des fabriques qui attendent les matières premières destinées à en ressortir façonnées pour se répandre sur toute la surface du globe. Mais si sur la plupart des points vous n’avez qu’une production agricole qui se consomme sur place, à quoi serviront vos canaux ? Sur la foi d’un pareil raisonnement, la marine marchande aurait pu aussi doubler le nombre de ses vaisseaux ; elle aurait pu dire : La prospérité commerciale de l’Angleterre est plus grande que celle de la France parce qu’elle a beaucoup plus de vaisseaux ; nous n’avons pas assez de vaisseaux, faisons des vaisseaux. Que serait-il arrivé si elle eût agi ainsi ? il n’y aurait pas eu plus de marchandises pour les vaisseaux qu’il n’y en a pour les canaux. C’est là au reste une erreur qui est souvent même pour l’industrie privée une cause de désastres. Souvent le fabricant, jaloux de la prospérité de son voisin, qu’il attribue à la grandeur des ateliers, au nombre et à la puissance des machines, vend son patrimoine pour agrandir ses magasins, y loger des machines plus puissantes ; puis, quand tout est fini et que cela a marché quelque temps, les métiers restent oisifs, le magasin vide, la boutique déserte, et le négociant succombe. On a voulu faire aujourd’hui deux fois plus de chapeaux qu’hier, c’eût été une entreprise très-sage et très-bien conçue si on avait pu faire des têtes pour les placer. En tout donc, la production doit attendre le consommateur. Pour faire des canaux, pour faire des vaisseaux, il faut avoir des marchandises à transporter, et avant de faire des chapeaux, il n’est pas mal de compter les têtes que l’on a à coiffer. C’est au reste une erreur très-grave que de prendre pour mesure de la richesse d’une contrée le développement des moyens de transport dont sa surface est couverte. Lorsque l’on considère, en effet, d’un point de vue plus général cet instrument de travail, ou reconnaît qu’il n’est qu’un correctif d’une distribution vicieuse de la production naturelle ou artificielle sur la surface. Ici une route est nécessaire, parce que la nature a placé le minerai loin de la houille ou de la forêt qui doit servir à le fondre ; là un canal est indispensable, parce que cette grande ville est loin des carrières de pierres nécessaires à ses édifices, parce que le produit de ses fabriques n’a de consommateurs qu’à une grande distance. Ce pauvre village, situé au milieu des forêts, a besoin d’une foule de chemins, parce que, n’ayant ni vins, ni blé, ni fourrages sur son territoire, il est obligé d’aller les chercher dans les communes voisines. Ces chemins sont fort utiles sans doute, ils sont indispensables même. Mais enfin ils ne le rendront pas plus