Page:Journal des économistes, 1859, T24.djvu/399

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nions pour le débrouiller, ou jusqu’à ce qu’un penseur reprenant la question à l’origine la pose, l’éclaircisse et la résolve tout à la fois.

Peut-être me trouvera-t-on trop sévère ; peut-être le suis-je en effet, peut-être la science trouve-t-elle dans la critique de l’empirisme un point d’appui nécessaire ; peut-être ces débats incohérents ont-ils leur raison d’être et leur utilité. Je ne sais. Toujours est-il qu’il me serait bien difficile de ne pas me réjouir quand la méthode reprend ses droits, et quand je vois un rayon de la science percer avant de les dissiper les nuages de l’empirisme. C’est surtout à ce titre que je louerai le livre De la propriété intellectuelle de MM. Frédéric Passy, Victor Modeste et P. Paillottet.

Presque toutes les grandes questions économiques ont eu à subir les traverses que j’ai dépeintes, et non-seulement celles à l’élaboration desquelles devaient concourir simultanément l’économie politique proprement dite et la morale, mais celles aussi qui, complétement indépendantes du droit naturel, ne ressortaient que de la science de l’échange. C’est dire assez que la question de la propriété intellectuelle n’y a point échappé. Que dis-je ! elle est une de celles qui se sont le plus rapidement déplacées, une de celles où le sentiment s’est le plus tôt introduit pour en chasser la raison.

Après les tentatives infructueuses de 1826 et 1836, après la discussion de 1839 à la chambre des pairs, la question de la propriété littéraire se pose un peu plus nettement en 1841. On propose une loi qui étendrait le droit de propriété de l’auteur, après sa mort, de vingt à trente ans. — « Je me demande, dit un publiciste, quel est le but du législateur ? Son but, c’est évidemment de consacrer la profession d’homme de lettres, considérer comme métier, comme moyen de gagner de l’argent[1]. » Aussitôt il recherche s’il est dans l’intérêt public que la littérature devienne un procédé industriel ; s’il est bon qu’il y ait dans la société beaucoup d’hommes faisant des livres pour s’enrichir ou même pour vivre, etc., etc. Celui-là s’élançant, tous le suivent. On sauterait à la douzaine, dit Figaro. Tout le monde s’efforce à l’envi de montrer uniquement que la profession d’écrivain doit être exercée non comme un métier mais comme un sacerdoce. De tous les arguments invoqués contre la propriété littéraire, celui-là fut le meilleur et le plus détestable, le plus détestable parce qu’il s’éloignait le plus audacieusement de la question, le meilleur parce qu’à cause de cela même il a le mieux réussi.

Qu’il soit à désirer que la littérature ne devienne point un procédé industriel, j’en tombe d’accord. Mais j’ai beau faire, je ne puis voir qu’une question de morale privée tout à fait spéciale, fort bien définie, et très-indépendante surtout de l’économie politique. Tel ou tel écrivain s’est-il donné pour but d’éclairer les hommes ou de s’enrichir ? C’est ce

  1. M. Louis Blanc, Organisation du travail, p. 123.