Page:Journal des économistes, 1876, SER3, T42, A11.djvu/433

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cours des siècles montre néanmoins l’inaltérable constance. Pour résoudre ce vaste problème, il transporta à la science sociale la méthode d’observation minutieuse dont il avait si bien usé en botanique ; il recourut aux sources de l’histoire, il compulsa les statistiques ; enfin, cette étude l’absorbant de plus en plus, il écrivit sa Démographie comparée, ouvrage excellent, dont l’auteur avait publié dans ce journal les principales conclusions. M. Achille Guillard a créé la Démographie ; son livre a réuni pour la première fois les fondements épars de cette science encore si nouvelle et pourtant si féconde, et l’auteur en a formulé lui-même plusieurs lois principales. Il a proposé l’usage des formules démographiques, qui abrègent le discours et le rendent plus clair. On apprendra aussi avec intérêt que plusieurs termes d’un usage aujourd’hui courant, tels que natalité, table de survie, etc., sont dus à sa plume élégante et ingénieuse.

Outre cet important volume et ses articles dans le journal et dans l’Annuaire de l’économie politique, nous citerons parmi les ouvrages démographiques de M. Achille Guillard une série d’articles de géographie qui ont été justement remarqués dans le Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales (Allemagne, Australie, Baléares, Grande-Bretagne, Cèches, Amérique, Centre-Amérique, Mexique, etc.).

La guerre devait éprouver durement la vieillesse de M. Achille Guillard. À la bataille de Buzenval, son fils Léon tombait foudroyé par une balle prussienne qui le frappait en plein visage, et trois mois après, sa dévouée compagne succombait à l’immense douleur qui la consumait. Quelque temps on put craindre que M. Guillard ne s’affaissât sous les coups répétés qui le frappaient si cruellement. « Les plantes elles-mêmes ne m’intéressent plus », disait-il tristement. Mais son esprit toujours actif, toujours dévoué à l’humanité, devait triompher courageusement de cet abattement passager, et chercher dans le travail un remède à tant de douleurs. Convaincu que l’instruction publique doit surtout contribuer au relèvement national, il se livra tout entier a l’art de l’éducation, consacrant ainsi sa vieillesse aux occupations généreuses qui avaient passionné ses jeunes années. Il fut, en 1872, le véritable fondateur de l’école libre et laïque du IXe arrondissement, école qu’il s’est plu à diriger lui-même jusque dans ces derniers temps. Lié autrefois avec le philosophe Jacotot, il avait conçu, pour les doctrines libérales de ce grand esprit, une vive admiration ; l’expérience qu’il en avait faite dans son institution de Lyon l’avait confirmé dans ce sentiment. Aussi aimait-il à habituer lui-même les jeunes esprits à juger et à observer par eux-mêmes ; il aimait à suivre leur évolution et à constater leurs progrès. C’était un spectacle touchant que