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Page:Jouve - L'Essor, loisirs littéraires 1834-09-18.djvu/2

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Auge au si doux regard,
Fraîche fleur d’innocence,
Qu’un souffle pur sans ceſse vous balance,
Ô jeune ame sans fard.

L. Jouve.
Le Bain.

Sous le frais ombrage d’une touffe de coudriers, où aboutit, dans une délicieuse solitude, une vallée sinueuse, le jeune Damon s’était assis, pensif et livré aux douces angoisses, compagnes inséparables de l’amour. Là, donnant toute sa confiance au ruisseau qui tombe avec bruissement des lointains rochers, et aux zèphirs qui se jouent en sifflant à travers les saules flexibles, il leur disait les rigueurs de Mussidora.

Il se trompait. Mussidora n’était pas insensible à sa flamme ; toutefois, soit crainte de se trahir, soit orgueil assez naturel à une beauté naissante, elle cachait au fond de son âme la douce sympathie qu’elle éprouvait, et ne se trahissait que par quelques coups d’œil furtivement lancés, ou par de rares soupirs qui soulevaient et abaissaient son sein.

Caché à la vue de ce tableau champêtre, si en rapport à l’état de son cœur, Damon essaie quelque vers passionnés pour attendrir le cœur de Mussidora, et, si le premier germe d’une passion se développe dans ce cœur, le forcer d’éclore. Ô trois fois heureux Damon ! Le sort aveugle qui d’ordinaire préside aux destinées des potentats les plus fameux, dirige actuellement la tienne.

Conduite par les riants amours ; voici sa belle Mussidora qui vient chercher le frais dans ce charmant réduit : le vermillon de ses joues, ruisselantes de sueur, annonce la chaleur qui la tourmente ; elle vient, légèrement vêtue, plonger dans l’onde rafraîchissante du ruisseau ses membres délicats. Que deviendra son cher Damon ? Hors de lui, perdu dans mille idées incohérentes, indécis sur le parti à prendre, il s’arrête un instant. Un sentiment de pudeur, d’ingénuité, une délicateſse pouſsée à l’extrême et qu’un petit nombre de cœurs connaiſsent, arrêtent dans son sein le désir et lui crient de fuir ; mais l’amour le lui défend. Vous, orgueilleux modèles de vertus, vous si sévères dans vos mœurs, dites : qu’euſsiez vous fait ?

Dans ce moment sa nymphe, plus belle que les nymphes qui firent jamais retentir de leurs chants les bocages d’Arcadie, après avoir timidement examiné l’un et l’autre bord, et s’être aſsuré de leur solitude, dépouillé ses membres raviſsants, pour savourer les eaux fraîches du rapide ruiſseau. Ah ! Damon ! Dans quel état te trouvais-tu alors ? Pâris sur le mont Ida, ayant devant lui les trois Déeſses rivales, lorsqu’il vit s’abattre tout entier leur voile divin, et que tous leurs appas furent livrés à ses regards ravis ; Pâris éprouva moins d’émotion que toi, lorsque ta belle, tirant son joli bas de soie, laiſsa à nu une jambe d’ivoire et le pied le plus mignon ; lorsque d’un doigt léger, déliant sa ceinture, elle écarte sa robe, et que son sein agité beau de tout l’éclat de la jeuneſse, parut sans