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Page:Jouve - L'Essor, loisirs littéraires 1834-09-18.djvu/3

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aucun voile à tes regards perçants. Mais jeune téméraire, osas-tu bien rester en contemplation devant un tableau plus fait encore pour jeter ton ame dans le délire et ne pas défaillir de saisiſsement à la vue de ce corps d’une blancheur de neige et si artistement formé par la nature, quand la batisse, moins blanche que lui, tomba en ondayant, et le laiſsa à découvert, quand la belle se vit nue, effrayée d’elle même, elle se sentit le rouge lui monter au front, et, comme un faon craintif, trembla au moindre souffle d’une brise légère ? Elle s’élance alors dans les flots du limpide ruiſseau qui lui ouvrent un paſsage et reviennent ensuite mollement la preſser. Chaque contour est adouci, chaque beauté qui reçoit encore l’impreſsion purpurine d’un reste de pudeur alarmée, reçoit des ondes un éclat plus doux : tel brille un lys sous le crystal qui le recouvre ; ou telle la rose rafraîchie d’une rosée matinale, brille par elle d’un éclat plus frais. Pendant que la craintive Muſsidora, tantôt s’enfonce sous les eaux, qui ne peuvent la cacher, tantôt se lève et ne se trouve qu’à moitié entourée de leur humide voile. Damon, du fond de sa retraite, dévore et grave en son cœur les traits charmants qui l’agitent sans ceſse de désirs téméraires. Cependant, retenu par cette modestie sévère qui est l’apanage du véritable amour, il pensa que son larcin était une profanation (si un larcin amoureux, toutefois, peut être estimé profane) ; et se frayant un chemin à travers les branches, il se sauva à toutes jambes, et d’une main peu aſsurée, jeta, dans sa fuite, sur le bord du rivage, ces mots tracés rapidement : « baigne-toi, belle Muſsidora, loin de tout autre regard que celui d’un amant fidèle ; je vais faire le guet aux approches de cette fontaine qui te sert d’asile, en éloigner tout promeneur indiscret et tout regard audacieux. »

Muſsidora, surprise, resta un moment immobile comme un marbre, dans l’attitude de la Vénus de Médicis, cette merveille de l’art. Revenue à elle-même, elle se hâta de reprendre ses vêtements, et promptement rhabillée, elle ramaſse l’écrit qui causa sa frayeur. Mais reconnaiſsant l’écriture de Damon, ses craintes disparurent et firent place à une foule d’émotions diverses difficiles à peindre. C’était la honte, non celle que produit le crime, c’était le trouble charmant de l’innocence, l’estime et l’admiration pour la flamme réservée, et par là plus belle de son amant ; et même à ces sentiments se mêlait celui d’une secrète approbation de ses propres attraits. Ensuite un tendre calme succéda par degrés au trouble de son âme, et sur l’écorce polie d’un hêtre dont les branches s’élevaient en s’arrondiſsant au deſsus du ruiſseau, elle grava avec la plume champêtre des amants du village, ce tendre aveu que son cher Damon couvrit bientôt de baisers, en versant des larmes de joie : « Aimable jeune homme, seul interprète du sens de ces vers, toi trop favorisé de la fortune, mais hélas ! par l’amour non moins favorisé