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Page:Jouvet - Réflexions du comédien, 1938.djvu/202

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un plaisir nouveau ni un nouveau fléau ; on en peut tout attendre, hormis l’inattendu.

Et quel nous apparaît-il ? Le médiocre parfait. Le médiocre absolu, le médiocre idéal avec tout ce qu’il peut y avoir dans la médiocrité d’élégance, de joliesse, de sourire, d’esprit et de bel air. Il a de l’ingéniosité, il n’a pas d’invention. Il a de l’artifice, il n’a pas l’art. Il a la combinaison, il n’a pas la trouvaille. Il a la curiosité, il n’a pas l’observation. Il sait l’emploi qu’on peut faire, pour « amener » une « situation », des passions, des caractères, des incidents surtout, mais il ignore la sincérité des passions, l’intensité des caractères, et ses incidents tragiques ou comiques sont des anecdotes. Quand M. Y… se hausse à la douleur, à l’amour, à la vertu, au patriotisme, ou plus simplement à l’honnêteté, il se sublimise jusqu’à croire que Shakespeare, sans aucun doute, n’a dû son génie qu’à un metteur en scène.

Et cependant, en dépit de la rigoureuse ressemblance de ce portrait, malgré l’ombre déshonnête et humiliante que jette sur le théâtre l’écrivain entrepreneur de spectacles, il faut reconnaître et déclarer que l’auteur est le maître d’œuvre, le seul créateur dans le théâtre et que sa direction est la seule qui soit complètement justifiée.

Même quand il n’administre pas un théâtre, c’est tout de même l’auteur qui donne son sens et son orientation à la profession. Quel que soit son talent ou son inspiration, celui qui écrit l’œuvre est le véritable chef.

C’est lui qui suscite, élève l’acteur et pourvoit à ses