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Page:Jouvet - Réflexions du comédien, 1938.djvu/212

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La tendance naturelle d’un metteur en scène est de voir les œuvres qu’il choisit et qu’il monte sous un biais particulier qui est l’indice de son tempérament dramatique, et de refaire les pièces.

Presque tous les metteurs en scène, après quelques années de modestes et parfaits services, rêvent de donner enfin leur mesure, à la grandeur de leur imagination. Et, comme l’apprenti qui se croit passé maître, comme ce cordonnier que le peintre Apelle rappelait à l’ordre en lui conseillant de ne pas critiquer au-dessus de la chaussure, ils sont pris du désir violent de refaire les chefs-d’œuvre et d’exprimer enfin, à cette occasion, les conceptions personnelles qu’ils ont acquises.

En illustration de cette déformation professionnelle, je veux citer une phrase qu’on a pu voir imprimée à propos de la mise en scène au cinéma du Songe d’une Nuit d’Été. C’est un des plus grands metteurs en scène qui l’a écrite :

« Le rêve de ma vie était de monter une œuvre sans que rien vînt gêner mon imagination. »

Cela n’est déjà pas mal pour un homme dont la profession est de servir les autres. Mais il ajoute :

« J’ai posé comme condition que cette œuvre représenterait Shakespeare, et rien que Shakespeare. »

Vous sentez, j’espère, dans cet aveu, et l’hommage qu’il a voulu faire à Shakespeare, et l’opinion qu’il a comparativement de lui-même. Et, par là-dessus, il conclut :

« Mon rêve vient de se réaliser. »