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Page:Jouvet - Réflexions du comédien, 1938.djvu/213

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Ce rêve était à votre disposition dans les salles parisiennes de cinéma. On y voyait Shakespeare, à l’usage des calendriers du nouvel an que distribuent les P.T.T.

Un confrère, assez enclin à cette professionnelle présomption, devant la pénurie actuelle d’œuvres dramatiques, en est arrivé à faire lui-même ses pièces.

Comme je lui demandais la façon dont il travaillait : « le plus difficile pour moi, dit-il, c’est la mise en scène. Une fois que la mise en scène est faite, j’écris la pièce très facilement. »

Il ajouta : « Mon cher, il n’y a là rien d’étonnant ; puisqu’on écrit une mise en scène sur un texte, pourquoi ne pourrait-on pas faire un texte sur une mise en scène ? »

Le plus grand metteur en scène n’égalera jamais dans ses réalisations, les rêves, les imaginations du plus humble de ses spectateurs.

En réalité, une pièce fait sa mise en scène elle-même : il suffit d’être attentif et point trop personnel pour la voir prendre son mouvement, travailler les acteurs : agissant sur eux, mystérieusement, elle les éprouve, les grandit ou les diminue, les épouse ou les rejette, les nourrit, les déforme et les transforme. Dès qu’on commence à la répéter, une vraie pièce s’anime comme le bois travaille, comme le vin fermente, comme la pâte lève. Elle prend son élan et, peu à peu, semblable à l’apprenti sorcier, le metteur en scène effrayé, ravi et impuissant à la fois, la voit se mouvoir avec les inter-