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Page:Jouvet - Réflexions du comédien, 1938.djvu/36

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la pièce, que peut-être le public n’était pas encore en train, que peut-être le début de la pièce n’était pas bon ou que la pièce ne devait partir que plus loin ; mais lorsque rassemblant tout mon courage, j’entrai à mon tour sur le plateau avec l’énergie du désespoir, pourquoi ai-je définitivement compris dans cette sourde hostilité, ce froid glacial, que la pièce n’aurait aucune réponse du public ?

Pourquoi et comment apprécie-t-on, au théâtre, sans erreur possible, le sens du silence que fait le public ? Et pourquoi ne confond-on jamais son indifférence avec son émotion ? Le silence de cette stase dramatique, que fait une masse humaine, hypnotisée par la terreur ou la pitié, n’est pourtant pas différent, à l’oreille, du silence sécrété par l’ennui ou la réprobation des spectateurs.

Le rire, lui non plus, ne trompe pas. Et pourquoi, s’il s’adresse au ridicule personnel du comédien dont la perruque vient de tomber, ou qui s’obstine à ouvrir une porte à l’envers, pourquoi ce rire est-il si vite et si naturellement authentifié, par ceux même qui sont en coulisse, qui devinent aussitôt que quelque chose d’anormal vient de se produire.

Un jour que je disais à Antoine mon goût et mon admiration pour l’Assomption d’Hannele Mattern, de Gerhardt Hauptmann, et mon intention de monter cette pièce, je l’entendis, de sa voix coupante et péremptoire, dire : « Mon petit, vous ne ferez pas un sou, j’ai adoré cette pièce, j’ai essayé dix fois de la monter, au théâtre