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Page:Jouvet - Réflexions du comédien, 1938.djvu/35

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reuse ; j’ai vu la mine épanouie ou désappointée de Bouquet, plus de mille fois et je me permets, en son nom, d’en formuler la loi irréfutable, juste fruit de ses observations.

Pourquoi devine-t-on toujours, en scène, deux secondes avant qu’il se produise, ce silence sonore que va créer tout à coup le trou de mémoire de votre partenaire ou le lapsus qu’il va commettre ?

Pourquoi, au théâtre, certains personnages, en général des personnages historiques ou légendaires, ont-ils la réputation d’être tabous ? Et pourquoi les acteurs ayant joué ces personnages ont-ils été envoûtés par ces incarnations ? Je pourrais citer l’exemple d’un acteur allemand, que le fait d’avoir endossé le costume de Frédéric le Grand, coiffé sa perruque et manié sa canne et sa tabatière, a jeté dans une véritable déchéance, en réduisant son mimétisme à cette seule et grande figure.

Pourquoi Renoir, qui était au jardin (à droite de la scène), tandis que j’étais à la cour (à gauche de la scène), a-t-il senti comme moi, au même moment, dès les premières répliques de la Margrave, d’Alfred Savoir, que la partie était perdue et que la pièce ne marcherait pas ? J’étais, à ce moment-là, en coulisse, attendant mon entrée, et je me rappelle l’effroi que j’éprouvais à écouter mes camarades et à sentir, moi aussi, comme un courant d’air froid, la désaffection de la salle entière. Je cherchais à m’en expliquer les raisons, en attribuant les causes au fait que peut-être je m’étais trompé dans la mise en scène, que peut-être j’avais mal fait attaquer