Page:Jules Bois - Visions de l'Inde.djvu/123

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
109
VISIONS DE L’INDE

À droite, au loin, se déploie Bénarès, éventail de palais et de temples, qu’une géante aurait brisé en le laissant tomber auprès des molles courbes du Gange. Des bancs de sable altérés se lèvent au milieu du fleuve ; des barques dorment. Un vent tiède m’effleure. Tel le soupir de l’Inde assoupie. Tout près, presque dans le fort, les petits jardins, sarclés par des multitudes d’esclaves, s’étranglent à des bordures de pierre, sous l’ombre des temples dont l’étendard déroule une colombe noire et un taureau. Dans les cours, piétinent les éléphants colossaux aux trompes peintes ; ils ne portent que le maharajah et le vice-roi. Entre des colonnes, filigranées de vert, en quelque zénana[1] secret, j’entr’aperçois des idoles qui bougent lentement, indolentes. Je reconnais les bayadères de Prabhu Navain, accroupies sur des tapis, lourdes et lasses, écrasées de bijoux, casquées de la splendeur noire de leur chevelure, avec les lampes nostalgiques de leurs yeux. Et la musique des « sarangues » vient à moi, portée par un air orageux, chargé de rose ; c’est un rythme voluptueux et bas, où traînent des relents de gloires évaporées et de paradis perdus…

… Enfin, je m’arrache à cette vision. La voiture

  1. Harem hindou
7